Entretien avec IMPERIAL TRIUMPHANT : « La créativité ne devrait pas porter de chaînes, elle devrait être libre de danser. »

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Cela fait un moment que le trio new-yorkais d’IMPERIAL TRIUMPHANT roule sa bosse dans le milieu du metal extrême à tendance sombre voire complètement noire. Mais bien loin de se cantonner à un style défini, le groupe a toujours pousser son art vers l’avant-garde, retirant définitivement le metal des sombres et épaisses forêts nordiques pour mieux le dépoussiérer et lui faire découvrir sa ville, la Grande Ville et ses lumières, mais aussi son atmosphère âcre, viciée et polluée. C’est donc avec une joie non dissimulée que nous avons pu poser au guitariste Zachary Ilya Ezrin quelques questions sur « Alphaville », leur nouvel album, à paraître le 31 juillet prochain chez Century Media Records.

 

Votre nouvel album « Alphaville » sort dans quelques semaines. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

« Alphaville » est un énorme album. Je veux dire : il rêve en grand. On peut même dire que c’est un rêve, un rêve inspiré par les sons de la Grande Ville, les observations de notre monde, les immondes et moites ténèbres qui nous entourent. Musicalement, nous voulions créer une expérience riche pour l’auditeur, tout en conservant le trio de base.

Comment l’avez-vous composé ? Qui amène les idées ? Comment les mettez-vous en ordre ?

Nous apportons tous des idées, des riffs, du contenu, etc.… L’un de nous peut apporter une démo sous forme d’un morceau presque complet ; un autre peut apporter juste un schéma de chanson. Certains titres ont émergé après plusieurs mois, plusieurs années de répétition et d’improvisation ensemble. En fin de compte, nous prenons des décisions basées sur nos goûts, qui sont très exigeants, ou sur notre expérience en tant qu’artistes, et sur ce que nous pensons pouvoir entrer dans la composition d’un album complet.

Votre musique me donne l’impression d’être faite de différentes couches, de différents temps d’improvisation se mêlant les uns aux autres. Chaque instrument étant capable de se mettre en avant ou de s’effacer pour mieux servir le tout. ( Je pense notamment à « City Swine » ou « Atomic Age » ). N’est-ce pas difficile de tout coordonner et de créer quelque chose de cohérent pour l’auditeur ?

Faire un album peut sembler une tâche énorme et intimidante, mais une fois plongé dans le processus, ça va tout seul, ça coule de source. L’improvisation est naturelle pour nous. Cela fait partie de ce que nous sommes en tant que musiciens, en tant qu’artistes. Trouver un équilibre entre l’improvisation, les parties composées ou l’origine du morceau, et les arrangements est ce qui peut être le plus difficile. Tout art vit à l’intérieur de certaines limites, il faut toujours trouver un certain équilibre : entre la forme et la fonction, entre la manière de faire passer une idée et la satisfaction du goût et de son expression personnelle. Au-delà de cela, nous sélectionnons soigneusement et méticuleusement des couleurs à superposer qui viennent s’ajoutent à l’expérience d’écoute, mais qui ne nuisent pas à l’énergie intrinsèque et à l’alchimie du trio et restent pertinentes pour le thème, le contenu, etc… Les sons abstraits, les ambiances, en dehors de ceux créés par nos instruments, peuvent trouver également une place dans notre travail. Selon moi : la créativité ne devrait pas porter de chaînes, elle devrait être libre de danser.

Votre musique est technique et intense, très metal mais avec des structures complexes se rapprochant parfois du free-jazz. Est-ce quelque chose que vous avez en tête en composant ou est-ce naturel pour vous ?

Notre musique est simplement le produit de ce que nous sommes. L’aspect technique est donc très subjectif. Peut-être que nous sommes techniques dans la façon dont nous exécutons la performance et produisons notre son. Nous sommes définitivement inspirés par beaucoup de musiques différentes, donc cela crée une complexité dans notre façon de composer. D’un autre côté, c’est très naturel pour nous de jouer ensemble, de se perdre complètement, puis de s’arrêter quinze minutes plus tard, et de dire : « Merde, nous aurions dû enregistrer ça ! ».

Comme je le disais tout à l’heure : il y a beaucoup d’intensité dans l’album, pouvez-vous reproduire tout cela à l’identique sur scène ou vous avez plutôt envie d’offrir une version différente à votre public ?

Le live est toujours une partie très intéressante de la musique. Nous aimons avoir un super gros son en trio et pouvoir détruire une scène où que nous allions. Notre public adore ça aussi d’ailleurs. Après, chaque soir varie, chaque date est différente de la suivante. Certains aspects du studio seront toujours différents de la façon dont nous jouons live. On a choisi d’utiliser ponctuellement quelques samples pour vraiment apporter à l’expérience et à l’imagination de l’auditeur pendant le show. Le reste est créer par l’énergie et l’interaction entre nous. Sans oublier bien sûr que c’est le public qui fait toute la différence. Nous sommes là parce que nous aimons jouer de la musique, mais aussi pour nos fans. Trey Spruance, qui a produit l’album avec nous, le dit très bien : « Une grande partie du travail que nous faisons en studio consiste à compenser la richesse de l’expérience live, à laquelle il n’y a finalement pas de substitut. »

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Par exemple, j’entends du piano, ou des cuivres sur « Alphaville », qui les a enregistré ? Avez-vous déjà pensé à les inclure aux shows ou même à faire un album complet de jazz ?

Nous aimons collaborer avec des forces créatives, nous avons donc de nombreux invités sur nos albums. « Alphaville » ne fait pas exception à cette règle avec une liste fantastique de personnes talentueuses. Les cuivres dont tu parles pourraient être le trombone de « Transmission to Mercury », et C’est J. Walter Hawkes, un excellent musicien de la scène new-yorkaise qui s’en est chargé. Quant au piano, c’est Steve ( Blanco, le bassiste du groupe ) qui s’en occupe sur nos disques.

Après, étant donné que chacun de nous joue déjà beaucoup de jazz en dehors d’IMPERIAL TRIUMPHANT, il est peu probable que nous réalisions une pièce de jazz dans le sens le plus traditionnel. Ce que nous aimons dans ce groupe, c’est de pouvoir créer notre propre style, un son venu d’ailleurs. Mais, qui sait ce que l’avenir nous réserve !

Je sais que votre sujet principal est votre ville : New York ? Mais de quoi traite l’album, peux-tu nous en dire plus ?

Même si nous n’avons pas l’intention de faire un album « concept » a proprement parlé, nos paroles sont reliées les unes aux autres et reflètent la façon dont nous voyons le monde. Une espèce de futur « potentiel », sombre et dystopique, les observations de changements politiques, technocratiques et ploutocratiques, sont quelques-uns des thèmes évidents. Cependant, il y a plusieurs grilles de lecture : nous examinons également les modes d’existence à travers des luttes diverses, et explorons tout cela en ayant en tête, un personnage ou une population représentant l’homme  dit « ordinaire ».

Le nom « Alphaville » vient d’ailleurs d’un film de Jean-Luc Godard, qui traite d’une ville-état totalitaire, technocratique, comme une vision obscure et dystopique du futur. Mais « Alphaville » signifie également « ville numéro un », ce que notre ville d’origine, New York, semble vouloir être. Les New-Yorkais pensent être les meilleurs et avoir le meilleur de tout, en tout, alors qu’en fait c’est très loin de la réalité. Au contraire, cette ville est certainement l ‘alpha en fric, en pouvoir et en mal mais pour le reste… Enfin peu importe ce que nous pouvons croire, New York reste avant tout le centre de beaucoup de choses, quelles soient bonnes ou mauvaises, dans ce monde. Certaines de nos paroles traitent donc de cette lutte interne à la Grande Ville.

La solitude, l’excès, la violence, l’urgence, j’ai l’impression qu’il n’y a que quelques maigres bons moments avant que l’on ne se fasse absorber par le cauchemar urbain de New York. Est-ce que c’est comme ça que vous ressentez votre ville ?

La vie à New York est assez difficile. L’endroit est bruyant, désagréable, sale, cher, et comme de nombreuses villes à travers le monde, densément peuplé. Les gens vivent dans des appartements de la taille d’une boîte à chaussures, qui coûtent une fortune. Le métro est dégoûtant et souvent incroyablement bondé. L’écart entre les riches et les pauvres est énorme, et ceux la middle classe sont complètement foutus. Les gens sont comme des rats dans une expérience, constamment à la recherche de l’or. Cela peut en effet être comparé à un cauchemar, mais avec un éclat doré qui fait briller cette réalité. Il y a ici un faux sentiment d’identité. On regarde autour de soi et on peut penser à « La Nausée » de Jean-Paul Sartre, qui regorge de nobles observations sur la vie urbaine. Et puis, c’est un endroit où tout va très, trop vite. Tu dois toujours être prêt à courir, à fuir…

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Tu fais partie des premiers artistes avec lesquels je m’entretiens depuis la crise du COVID-19. Comment va New York City? Comment avez-vous vécu le confinement ?

New York a été confinée de manière assez stricte. De nombreuses stratégies ont été déployées pour contrôler la population et mettre la vie en suspend pour le bien de tous. Le confinement est différent pour chacun de nous, mais notre sentiment général était que nous avions juste envie de nous retrouver et de jouer ensemble. Malheureusement, les dates annulées ou reportées ne vont pas nous le permettre pour l’instant. Nous avons tout de même pas mal travaillé en coulisses, du moins du mieux qu’on a pu pour assurer la sortie d’Alphaville, ainsi que d’autres choses à venir…

Comment voyez-vous le futur pour les shows et pour IMPERIAL TRIUMPHANT ?

L’avenir est à la fois prometteur et rempli de fausses promesses ! Cependant, nous sommes persuadés que nous vaincrons. IMPERIAL TRIUMPHANT évaluera la situation à mesure que les choses se remettront en place. Notre objectif est de revenir plus fort que jamais, de jouer de la musique pour nos fans et de nous connecter avec encore plus de monde.

Il y a deux reprises à la fin de l’album, pourquoi ces titres ? Ces groupes sont-ils des influences pour vous ( VOIVOD et THE RESIDENTS ) ?

Ces deux groupes sont évidemment des influences. Nous avons choisi ces chansons parce que nous les aimons vraiment et que nous voulions voir ce que nous pouvions en faire tout en essayant d’être assez différent des originaux. De plus, nous avons pensé que ces reprises ne seraient peut-être pas si évidentes pour nos fans. Notre ingénieur / producteur Colin Marston est également un grand fan de VOIVOD, nous l’avons donc un peu surpris. Puis il nous a lui-même surpris en jouant et en enregistrant la deuxième partie de guitare !

Il y a aussi Thomas Haake de MESHUGGAH qui joue du Taiko sur l’album ( percussion japonaise ). Comment l’avez-vous rencontré ? Comment ça s’est fait ?

Kenny ( Grohowski, le batteur du groupe ) connaissait déjà Thomas, et nous avons donc pensé qu’il serait cool qu’une de nos plus grandes influences, un membre d’un de nos groupes préférés, participe à l’album. Nous avons humblement demandé, et il a accepté. Après avoir organisé la rencontre, nous nous sommes retrouvés à enregistrer d’incroyables partie de Taiko avec Thomas. Nous avons tous passé un moment incroyable et mémorable à créer…

C’est quoi la suite pour IMPERIAL TRIUMPHANT ?

Eh bien, nous avons plein de choses très sympas en préparation pour 2021, et nous travaillons surtout dur pour ramener notre trio sur le devant de la scène.

Un dernier mot ?

Nous espérons que les gens apprécieront l’expérience Alphaville autant que nous, et nous sommes impatients de nous connecter avec plus de fans. Voici le futur !

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