[ Chronique ] Avec « Pantocrator », FANGE livre une épopée crasse.

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FANGE est réglé comme un métronome, tous les ans il revient avec un nouveau méfait. L’année dernière est paru « Poigne », oeuvre de cloitrés, vers laquelle je n’ai pas eu la force de me jeter ; étant encore convalescent de « Pudeur », les marques des bubons à peine cicatrisées, les traces des profondes incisions à peine refermées, vidé de tout ce qui dérange et démange, vidé de mes ressentiments visqueux dont le groupe se nourrit avec délectation, je n’avais plus rien à offrir. Puis tout doucement, lorsque « Pantocrator » a été annoncé, s’est installé une étrange sensation mêlant soumission, terreur et excitation. Mais surtout a germé en moi l’envie de me replonger dans la crasse, de m’y rouler et d’embrasser à nouveau tous ces sentiments ambivalents qui peuplent mon inconscient depuis la première oreille que j’ai posée sur la musique de FANGE.

Face à ce nouvel opus, je retrouve les mêmes procédés, le même engagement indéfectible du groupe pour son art : total et sans concession. « Pantocrator » est une fois de plus un album plein de textures, où l’EBM prend de plus en plus corps mais reste empêtrée dans des parties de guitares grasses humant l’hydrocarbure. Il se divise en deux parties d’un quart d’heure, deux morceaux cassants et concassants, deux monolithes rongés par les crachats acides et les excréments volatiles. Mais ayant chacun ses particularités : l’un abrupt et morcelé, l’autre peut-être plus torturé et amer. Les structures y sont fortement étirées pour un résultat hachuré, en crevasse. Les passages écrasants sont mis en contraste avec les ambiances qui prennent une place de plus en plus importante ( de même que les voix ), laissant poindre des sentiments nouveaux. Sous le carmin hémoglobine habituel, on distingue pour la première fois des larmes, noires de compassion et de mélancolie, des mélodies lancinantes et des voix claires. Le résultat est bluffant.

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Les variations ressenties sur « Pudeur », ce chemin moins brut, moins saturé, cette échappée vers des sphères synthétiques et bruitistes semble alors confirmée et acquise. À travers l’emploi des machines, FANGE gagne en lisibilité tout conservant cet aspect froid, nerveux et cynique. Et c’est d’autant plus flagrant ici qu’on sent qu’il maîtrise totalement son sujet, définissant clairement son propre son : étouffant et reconnaissable. Je serai même tenté de me lancer dans une digression stylistique entre sludge et indus’, m’essayant au barbarisme pour créer le « sludgustriel » dans une lamentable tentative de définir cette épopée crasse, cette ode aux ascaris qui rongent les boyaux et qui attaque les viscères. Mais tout ceci n’est que littérature et ce qui compte c’est que cette mesure dans l’excès qui s’affine encore et toujours n’est donc pas exempte d’évolution. 

Le trio continue de proposer et de s’affirmer. Cette fois-ci c’est en allongeant ses morceaux et en y mettant les variations que l’on avait déjà pressenties. Comme quoi, on peut toujours faire mieux, faire plus, faire autre chose. Élevé désormais au rang de Grand Égoutier National, FANGE surnage dans les eaux insalubres de notre humanité et en ressort toute son essence. Dans ce verger aux fruits blets, mille-feuilles de chaux et de terre rance, souillée de mazout, FANGE Glorieux et Tout Puissant, construit son monument aux oubliés, cimetière de mots, de corps et de cris… 

À suivre.

 

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