[ Chronique ] IGORRR – Spirituality And Distortion ( Metal Blade Records )

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Bouleversé par son dernier album en date, « Savage Sinusoïd », un opus qui a mis presque deux ans à sortir de ma playlist ( chose rare ), j’attendais donc avec une impatience non cachée, je me languissais, je me baignais d’idées et d’envies aussi incertaines que vaines quant à la suite des élucubrations de Gautier Serre, l’homme-orchestre derrière IGORRR.

Suivant l’artiste depuis ses débuts, ses racines solitaires et foncièrement breakcore, j’ai su apprécié son évolution, « sa montée de gamme » comme dirait certains, avec l’adjonction de musiciens live et l’ouverture vers encore plus de mélanges échevelés et d’hybridations sonores bouillonnantes, frôlant parfois l’hystérie. Gautier Serre a en tout cas su affiner son style, car oui IGORRR est un style à lui tout seul, et il continue de se décliner avec ce nouvel album baptisé « Spirituality And Distorsion ».

On savait IGORRR « réplicant », on le retrouve aujourd’hui cyborg, être bionique, tant les éléments électroniques et organiques qui composent son art ont été rendus totalement indissociables, complémentaires et même symbiotiques. On sait que Gautier Serre enregistre tous les sons, tous les instruments, toutes les voix et n’utilise aucun samples mais on sait aussi que tout est ensuite passé à la moulinette électronique, transformé par la machine IGORRR. Le résultat en est un son unique, reconnaissable entre mille.

Cette fois-ci cependant, j’ai l’impression de voir une nouvelle évolution, une nouvelle mutation, un genre où l’humain (re)prend un peu le pas sur la machine, comme une vinaigrette d’huile et de sang. Les titres se rapprochent des structures traditionnelles, moins de cassures, et surtout beaucoup plus de guitares, de basse, de batterie, d’éléments purement organiques. On a souvent l’impression d’entendre un groupe jouer ( peut-être l’expérience du live band a donné des idées… ) et non plus seulement un homme mélangeant des flacons de bruits. Après, ce n’est pas vraiment surprenant si l’on suit un tant soit peu ce que fait l’artiste puisqu’il avait annoncé lui-même un album avec plus de guitares et de distorsion.

L’expérience acquise a porté ses fruits, l’artiste semble avoir mis plus de méthode dans sa folie, ou en tout cas plus de cohérence et d’homogénéité. « Savage Sinusoïd » déconcertait là où « Spirituality And Distortion » conforte, « apaise » et réconforte même, il se veut plus lisse et agréable à l’écoute, presque accessible au commun des mortels. Les influences métalliques ressortent nettement, délaissant les excès et le désordre électronique, cette ivresse frénétique qui faisait alors gicler ça et là gouttelettes chromato-bruyantes et coulures quasi-pollockiennes. L’album m’apparait plus comme une fresque sonore, un patchwork cousu de métaux précieux et précis, même si les excursions en Absurdie, vous vous en rendrez compte, sont toujours autorisées voire encouragées.

Ces promenades, chemins synaptiques à travers les pensées de l’artiste, continuent de saupoudrer l’album et d’être l’objet de succulentes délectations. Comment ne pas se complaire de cette musette sous amphét’, de ce cannibale qui grogne sur du 8-bit, de ce électro-break-core épileptique etc.

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Ailleurs, « Downgrade Desert », « Camel Dancefloor » nous mènent en Orient alors que « Himalaya Massive Ritual » et « Overweight Poesy » en Extrême-Orient, et « Kung-Fu Chèvre » dans les Balkans. Il y a comme un fil rouge, une idée. Gautier Serre, synesthète musical, semble s’être plongé dans l’orientalisme et le japonisme donnant un ton, une couleur particulière à son oeuvre, tout en la baignant du riffing le plus metal, le plus lourd qu’il ait jamais composé pour IGORRR. De même, on est porté une fois de plus par la voix fabuleuse de Laure Le Prunenec : théâtrale, lyrique, chorale, expérimentale, époustouflante. Elle conjugue parfaitement les délires et les exigences artistiques d’IGORRR avec ses prétentions classiques et baroques.

« Spirituality And Distortion », ambitieux et sincère, unique et authentique, permet ainsi d’aborder la musique comme un ensemble et non pas comme une succession de tiroirs, comme une commode d’apothicaire, où chaque éléments ne doit en aucun cas en rencontrer un autre, sous peine de fausser gravement le produit final. Comme à son habitude, IGORRR les fait plutôt se rencontrer, entrer en collision, les fait s’enlacer et danser ensemble. Rassurez-vous : aucun des styles qu’il tronçonne ou qu’il triture, n’est ici maltraité, moqué ou pastiché outre mesure, au contraire chaque phrase sonore devient l’affirmation d’un amour incommensurable de son créateur envers la musique, les sons, les couleurs, les images, envers son art en général.

 

 

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