[ Chronique ] HEILUNG – Futha ( Season Of Mist )

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Il est fou de penser qu’en a peine cinq ans d’existence, le collectif HEILUNG a réussi à nous offrir deux albums et à se faire connaître bien au-delà des frontières de la musique metal. Aujourd’hui, avec un enthousiasme que je ne saurais vous cacher, je me suis donc penché sur ce nouvel et deuxième album, le bien nommé « Futha ».

Un opus qui vient s’inscrire dans la continuité du premier, toujours aussi ambitieux et pointu dans sa conception que spirituel et animé dans sa portée physique. Il répond parfaitement à l’objectif de (re)créer une histoire amplifiée de l’Europe du Nord proto-médiévale. En plus d’une heure, HEILUNG va égrener ces sensations et ses sentiments, tout en nous faisant perdre toute notion de temps et d’espace.

Évidemment, vous me direz que cela ressemble tout à fait au projet du premier album. Mais qui dit continuité ne veut pas forcément dire copié-collé. Je vous dirais alors qu’il y a tout de même pas mal d’éléments nouveaux dans la musique proposée… 

Première divergence, « Futha », explore la féminité et vient donc se placer en miroir de « Ofnir » qui était lui dédié au masculin. Sur son premier essai, le groupe s’était évertué à reprendre et transcrire des inscriptions runiques conservées sur des armes et des boucliers. Ici, les paroles proviennent essentiellement de la poésie médiévale islandaise, une poésie dans laquelle de « saintes » femmes scandent, ensorcèlent ou bénissent. Par conséquent, et c’est là que l’on atteint un autre point de divergence, les voix féminines sont beaucoup plus importantes. D’ailleurs, les voix en général sont mises au premier plan, que ce soit des cris primitifs, des chants païens ou des choeurs.

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Du coup, cela crée un assemblage unique, la conciliation entre beauté et laideur, inspirée de tous ces sentiments humains recueillis rituellement, depuis l’âge du fer à nos jours. Et toutes ces sensations préchrétiennes, ces éclairages déconnectés de la réalité moderne se lient pourtant très bien avec notre monde, comme si tous ces chants s’adressaient à notre essence même et nous faisaient entrer en résonance avec nos racines tribales oubliées ou gommées.

À ce stade, vous pourriez encore largement comparer HEILUNG à WARDRUNA mais il se trouve que les deux entités ne prennent pas vraiment la même direction. Bien que qu’elles mettent toutes deux l’accent sur nos racines et sur la recherche d’une musique traditionnelle européenne, HEILUNG n’a cependant pas besoin des compositions grandioses de WARDRUNA pour nous hypnotiser. Sa musique semble se raccrocher à quelque chose de plus percussif, de plus rituel et dépouillé, n’hésitant pas à nous laisser respirer, à y inclure des sons venteux, un feu qui crépite, des bruits forestiers. Cela rend son oeuvre encore plus immersive, belle et brute, confortable dans sa laideur, aussi dangereuse, tumultueuse et audacieuse que le casse-tête protéiforme qu’est l’Histoire de l’Europe.

De par sa richesse et son mysticisme, il s’avère que « Futha » se révèle assez difficile à la chronique et à la discussion. Alors, plutôt que de vous faire une fastidieuse description titre par titre, je vais tenter de n’en souligner que quelques uns, mes préférés…

L’album commence avec « Galgaldr » et son chant grave, mâle, qui se déploie crescendo jusqu’au cri primal de l’Audugan. C’est le début de la fin, la destruction par laquelle la renaissance devient possible. Apparaît alors la voix de Maria Franz entonnant un sortilège de défense contre les mauvais esprits, beaucoup plus forte et prononcée qu’auparavant. C’est un peu la naissance et l’affirmation de la féminité de cet album. Les arrangements musicaux bruts et croissants inspirent d’ailleurs ce sentiment de naissance.

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Plus loin, on rencontre le minimaliste et paisible « Traust » et ses sons de bols méditatifs. Le titre est chanté en vieux germanique, norrois et islandais. La voix féminine y est centrale, aérienne, flottante et entêtante. À force de répétition, elle est sensée libérer les guerriers de leurs liens terrestres et physiques.

« Elivagar » traite des rivières de glace qui coulent, gèlent, se vaporisent et traversent le vide omnipotent, le Ginnungagap, dans la mythologie nordique. C’est un titre difficile à écouter, étrange et très froid. Il se compose simplement de mots parlés grognés, susurrées, et d’incantations crachées. L’atmosphère est renforcée par le son constant de la glace qui se brise. La majorité des sons ont d’ailleurs été produits avec de la vraie glace, brisée en morceaux de différentes tailles, frappée ou broyée. Il en résulte des sons naturels et uniques, où l’on ressent toute la puissance de cet élément. Il aborde la manière dont la froideur englobe une grande partie de la terre et des humains également, notamment dans la colère et l’amertume. Cette haine glacée se ressent parfaitement dans cet hommage à la force inébranlable et patiente de la glace, grinçante et se déplaçant lentement, imparable. Ici, la féminité est absente, comme sourde.

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Enfin, je tenais à parler de « Hamrer Hippyer », un titre que l’on connaît déjà puisque le groupe l’interprète en live depuis un bon moment. Sur cette chanson, l’auditeur vit une expérience d’immersion venue de la période des chasseurs-cueilleurs. Le chant rythmique du début, qui donne son nom à la pièce, évoque une tradition septentrionale, rappelant les chants des Premières Nations du Groenland et du Canada qui sont les seules à encore chanter dans ce style qui est supposé apporter bonheur et rire. Ici, HEILUNG y ajoute ses propres éléments et ses textures en adaptant le style vocal.

Les sons peuvent décrire une maladie ou une douleur qui fait rage, et l’appel à l’aide qui s’ensuit. Enfin, un sort est récité, répété dans des tonalités douces et enchanteresses pour qu’il déploie ses effets. Les significations de cette chanson sont nombreuses, mais ce qui en ressort c’est le côté salvateur et curatif, une guérison du corps, de l’âme et de l’esprit.

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HEILUNG ne croit pas seulement au pouvoir de guérison du son et en particulier aux rituels vivants, il tente d’en faire l’expérience en libérant les croyances du passé. Il en résulte des pièces souvent sombres et chaotiques, un peu comme la vie réelle, mais tout finit par atteindre une forme de sérénité, comme une thérapie musicale.

Pour conclure, je dirais qu’avec « Futha », HEILUNG reste fidèle à son éthique et à sa vision, tout en incluant de nouvelles choses notamment des connections ou des reconnections avec l’esprit féminin originel, bien antérieur à la transformation de la femme en mère pondeuse ou en éternelle pècheresse.

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