Chronique : IGORRR – Savage Sinusoid ( Metal Blade Records ) note : Baleine/Gravillon

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La sortie d’un album d’IGORRR est, à chaque fois, la promesse d’une musique libre, différente et sans frontières. Pour les non-initiés, IGORRR est un projet musical d’avant-garde initialement influencé aussi bien par MESHUGGAH que CHOPIN, CANNIBAL CORPSE, BACH, DOMENICO SCARLATTI ou encore TARAF DE HAIDOUKS et APHEX TWIN. Mais suivant une quête tout à fait personnelle, Gautier Serre, le contremaître d’IGORRR, ne pouvant rester statique dans sa musique, prend le parti de l’évolution constante, voire de la mutation. Et afin de satisfaire ce besoin, cette envie irrépressible de progression, cette quête spirituelle et artistique, il a trouvé en principaux alliés: le temps et le travail implacable. En effet, « Savage Sinusoid » a été engendré en quatre ans, car selon les dires du gourou Serre : « créer du bon métal, de la bonne musique électronique, de la bonne musique balkanique et de la bonne musique baroque avec toutes les autres idées et éléments prend énormément de temps ».

Et vous vous en rendrez compte ( cf. les making-of de l’album ), « Savage Sinusoid » est un album sans aucun samples, 100% de ce que l’on y entend a été enregistré et composé en studio, et chaque petite chose, chaque nano-détail, a été pensé et re-pensé, fait et refait des millions de fois pour être sûr d’atteindre un but bien précis : la  musique dite « parfaite » . Pour réaliser ce rêve aussi fou que présomptueux, Serre s’est adjoint les services d’une multitude de musiciens venus prêter leurs compétences et nous offrir ainsi accordéon, saxophone, sitar, clavecin, mandoline etc… Tous sont venus prendre confortablement place aux côtés des battements impitoyables de Sylvain Bouvier ( TREPALIUM ), des riffs de guitare énormes, des grognements de la mort et des chants lyriques d’opéra.

Entre autres, Travis Ryan de CATTLE DECAPITATION et sa voix type Destop est venu apporter sa pierre à l’édifice sur « Cheval », « Apopathodiaphulatophobie » et « Robert ». Concernant les voix, on ne peut passer à côté des prestations de Laurent Lunoir et de Laure Le Prunenec. Ces Pelleas et Melisande flirtant sur l’Apocalypse, jouent sur les textures vocales tantôt métalliques, granuleuses et rocailleuses tantôt lyriques, perchées et cinglantes afin d’élargir un peu plus la palette émotive et les possibilités artistiques de l’oeuvre d’IGORRR. Ces compagnons d’exception de Serre, ce duo vocal sans textes réels, réussit à suivre l’ « électro-cardio-gamme » des émotions d’IGORRR et ainsi produire l’alchimie tant recherchée : la sinusoïde sauvage et dorée.

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Au milieu de tout cela, Gautier Serre se garde bien à lui les manipulations électroniques en tout genre. Tel un fabricant de coucou maléfique, aussi minutieux dans sa folie que méticuleux dans ses délires, il met un point d’honneur à détraquer le temps, à l’accélerer, le défibriller, le ralentir, l’adoucir ou l’exciter, le plonger dans le passé, le faire revenir dans le futur et le faire voyager aux quatre points cardinaux. En passant par son prisme cérébral, les pistes se transforment alors en extrasystoles musicales, donnant leur propre heure dans un espace temporel succinct, avec toujours cette trotteuse en décalage permanent et capable d’aliéner le plus « suisse » des horlogers.

Pour résumer, « Savage Sinusoïd » est chaotique, grandiloquent, extravagant et il est de loin le meilleur album jamais produit par Gautier Serre ( dont je salue le travail ). Mais cet opus reste avant tout celui des superlatifs : plus metal, plus varié, plus « collaboratif », plus ouvert et plus orienté vers la scène. Séduisant par son architecture sonore dense et variée, « Savage Sinusoïd » n’obéit qu’à ses propres codes. IGORRR y exploite la beauté bancale, le déhanché « quasimodesque » et splendide d’un mendiant, l’histoire d’un pied-bot repoussant mais capable de chanter Debussy, un véritable « opéra de caniveau », beau, brutal et empreint de romantisme détraqué. Des accordéons balkans aux 8-bits d’« Houmous », du métal carnassier de « Viande » jusqu’aux mélanges électro-épico-musette-improbables de « Cheval » et de « Spaghetti Forever » ; du « classissisme » effrayant d’« Opus Brain » à la mélancolique noirceur d’« ieuD » ou d’« Aurevoir », IGORRR ne laisse rien au hasard, il aime à surprendre et perturber son auditoire. Dans cette optique, miroir difforme déformant la réalité, « Savage Sinusoïd » rend beau le moche, « dé-laidit » et éclate, explose de par sa magnificence et sa singularité cohérente ou sa cohérence singulière… À vous de juger !

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