Face au soleil rougeoyant d’une fin de journée, je me tiens sur les pavés de la zone portuaire, endroit bruyant où souvent s’agglutine la foule. De sa noblesse apaisante, lointaine, la Vieille Dame semble me garder, me veiller. Une mer de mâts oscille. Devant moi, quelques filets rapiécés et des bouées aux formes rondes et aux couleurs passées ; des centaines d’embarcations creuses comme autant de berceaux hypnotiques se languissent, dansent sur les eaux calmes, miroir brisé aux reflets aveuglants. J’inspire et fait le vide en moi, cherchant l’ennui au milieu des couleurs et des cris, des balbutiements touristiques, des odeurs d’échappements sucrés, des reflux poiscailles…
Soudain, une bourrasque emporte tout, me percute, fouette mon visage, bat mes cheveux et mes lèvres. J’entends alors des milliers de voix dans un unisson parfait. J’espère être sauvé mais en mon for intérieur, ce chant se désagrège, se déforme et devient funeste, disharmonique. Il s’élève absurdement, grandit, y prend toute la place, jusqu’à me rendre fou. Bouleversé, bafouillant, mon regard tente de rester accroché à la Bonne Mère qui, désormais plongée dans l’obscurité, semble me tourner le dos. Loin derrière moi sont les clapotis safranés, ne reste que les relents écoeurants et les souvenirs ternes… Désespéré, je me mets moi aussi à fredonner :
“Il vient dans l’ombre profonde,
Celui dont mes yeux ont soif.
Et sa mort est la promesse,
Et sa Croix soit mon appui.
Ô Rançon épouvantable,
Ô Signe de ma terreur,
Le ventre est pareil à la tombe,
Pour la Naissance de la douleur’’