Édition spéciale, édition spéciale – Les vendanges ont commencé en Provence.
Matin de septembre, les villages orange sont en ébullition, les petites mains accourent, grouillent dans les vignes, sous une chaleur écrasante… Les tracteurs se prennent pour des petits trains, grognent, filent, se bâfrent. Les pressoirs hurlent, la mâchoire béante est usée, crampée. La grande bouche flexible aspire toutes les gouttes et les bennes ; chaque grappes grasses, chaque grain charnu. L’intestin est presque saturé, les ferments attaquent le moût, le digèrent ; les cuves rondes et ballonnées rotent bruyamment… La cigale raisonne les criquets qui, en colère, tentent de conserver la fraîcheur de leur cellier. « Je ne savais pas qu’une mante religieuse se déplaçait aussi vite… » . Elle me grimpe sur le pantalon, s’arrête. Nous échangeons un bref regard alors que je la chasse du bout des doigts.
Édition spéciale, édition spéciale – La chaleur a réduit la récolte.
Peau de chagrin pour les peaux de vache. Les cochons assoiffés mangeront leur pain noir. « Et basta cosi ! ». N’ayez crainte, le bâton raclera le grès. Inélégants, capiteux, outranciers, les arômes de fruits embaument la cave. De l’eau, de l’eau, il n’y a presque plus d’eau…
Édition spéciale, édition spéciale – Les nappes phréatiques sont au plus bas.
La sécheresse nous pend au lèvre, la poussière fait tousser le lièvre. Les étoiles suantes regardent impuissantes le raisin se faire massacrer.
Un limbert m’observe du haut du conquêt, vert et luisant, il glisse dans cette piscine de caviar, roi-reptile sur sa montagne saccharique. La lie boueuse vomit ses levures mystiques, la réduction s’élève des barriques – « Vive le sang, Vive le sang de la vigne ! » De l’eau, de l’eau, il n’y a plus d’eau… – « Faire pisser, il faut faire pisser »
Aussi loin que je peux voir, la vigne s’étend, comme inerte, sous un ciel violacé, je renifle. Entre les rangées de ceps desséchés, de feuilles rousses, quelques piaillements bienvenus, le jour va se lever, j’inspire, je sue. Désespéré, je m’en retourne à mon ouvrage.