Après cinq années de silence, et d’attente pour ses fans, le sextuor islandais SKÁLMÖLD est de retour avec un nouvel album. Baptisé « Ýdalir », il se doit donc d’être ambitieux, il se doit de dépasser les attentes, et de rendre limpide ces cinq ans de travail. Inspiré de plusieurs sagas islandaises et de la mythologie nordique, comme par exemple le poème « Grímnismál », ce nouvel album nous replonge dans ce que SKÁLMÖLD a de plus authentique, dans ce qu’il sait faire de mieux : de superbes lignes mélodiques, des rythmiques heavy, une polyphonie vocale exceptionnelle et des refrains épiques tout en ne tombant jamais dans la caricature ou la parodie, chose plutôt rare à notre époque.
Sans être grand connaisseur du groupe, j’ai le souvenir d’un viking metal de très bonne facture, athlétique mais fin, capable d’envolées lyriques comme d’un metal entraînant avec de grosses influences heavy/thrash. À l’écoute de ce « Ydalir », je ne suis clairement pas perdu puisqu’il me semble être une version plus évoluée, plus puissante, plus raffinée, plus élaborée, tout en restant accessible, de ce que je gardais en mémoire de la musique du groupe. Et c’est peut-être en ça que la musique de SKÁLMÖLD est plaisante : sa technique est toujours au service de son authenticité, de sa verve, de son art en somme. Il ne s’agit jamais d’une démonstration ou d’un étalage des possibilités, c’est juste un mélange, à priori simple mais passionnant, d’héritage culturel à la fois ancien et modernisé, reliant de précieuses sagas à des éléments d’un metal heavy et palpitant tandis que des mélodies folk leur donnent une touche énigmatique, voire mystique.
Ainsi, les mélodies s’emboîtent parfaitement, les voix puissantes et les choeurs offrent suffisamment de mystère pour tenir en haleine. Les titres sont concis et directs, ne cherchant pas à faire des ronds de jambe ou allonger les structures pour étirer un propos qui n’en a pas toujours besoin mais que d’autres s’amusent à faire pour soi-disant la beauté de l’art, ou la puissance évocatrice des éléments ou du silence… Foutaises ! Les morceaux qui composent « Ýdalir » n’ont pas besoin de dix-sept minutes de biniou et de nappes de synthé’ à deux balles pour évoquer les mornes plaines, les Dieux Nordiques, les escarmouches sur fond de sable noir, les batailles aux sommets de rochers escarpés, les héros anciens et leurs errances enneigées…
Après une courte et douce introduction, on est très vite catapulté dans la demeure du Dieu Ullr, perfectionniste mais colérique et instable, construit sur des rythmes et des riffs aussi hypnotisants que galopants, et surmontés de grognements sinistres et sombres. Les tubes en devenir que sont « Ratatoskur » et « Verðandi » s’enchaînent et sont garnis de solos époustouflants, d’une alternance de cris stridents et de voix claires qui elles-mêmes oscillent entre choeur solennel et soliste ténor. Remarquable à bien des égards, cette polyphonie bien maîtrisée fait tout le sel de cet album, nous guidant somptueusement à travers ces atmosphères glorieuses et ce mysticisme nordique que SKÁLMÖLD représente à la perfection.
Ici et plus qu’auparavant, le hautbois et les orgues sonnent « fragiles », subtils, ils ne sont pas mis en avant et ne servent que de soutien aux passages folk tandis que les « grosses guitares » et leurs muscles distordus prennent toute la place, rappelant parfois le riffing d’un METALLICA et autres pontes du genre ( « Urður », « Veðurfölnir » ). Clôturant l’album, le titanesque « Ullur » invite l’auditeur dans un voyage profond et polychrome, très folk mélodique. Les paroles viennent se conformer à certaines des formes poétiques du vieux norrois et créent une magnifique interaction de tous les éléments constitutifs du style de SKÁLMÖLD dans une sorte de morceau total où le groupe nous montre toute sa panoplie. Une fin comme on les attend : cinématographique et épique.
Après plusieurs écoutes, je dirais que « Ýdalir » est une démonstration de force, d’engagement, de passion et d’amour de la part d’un groupe qui aime profondément ce qu’il crée. Des chansons comme « Verðandi » semblent bien plus travaillées, plus multi-couches que tout ce que le groupe a produit par le passé et témoignent de son évolution progressive, mais sans limites imposées. Si le groupe se transcende et conçoit à chaque fois quelque chose de meilleur, de plus précis, on sent bien qu’il n’a pas encore atteint son but, son sommet mais qu’il continue sagement sur sa voie, sur ce chemin spécifique qui nous encourage à approfondir une vision triviale, trop souvent superficielle et empruntée de médiévalisme de ce que sont la culture et l’héritage nordique. SKÁLMÖLD tout en dépoussiérant merveilleusement bien cette vision étriquée, s’y penche suffisamment pour nous y intéresser sans nous faire décrocher : explorer tout en restant accessible.