À mi-parcours, au réveil, du fond de ma tente, je dresse un premier bilan, rapide : un son toujours bon sauf peut-être sous les tentes, une bonne variété de restauration, une accessibilité que je teste pour la première fois et qui m’a l’air de très bonne facture, et enfin une nouvelle Valley intéressante, faisant face à la Warzone mais qui laisse place à un Temple du merch’ dont je ne comprends ni l’utilité, ni la mécanique. J’aime une musique, j’en aime les sonorités, j’aime un groupe ou des groupes mais je ne suis pas « fan » d’un festival… C’est quelque chose qu’il m’est difficile d’intégrer. J’aime les livres, je ne suis pas fan de la bibliothèque…
SAMEDI
Les yeux encore un peu collés mais ravivés par un soleil déjà haut et un grand verre de cidre, j’observe de loin et un brin dubitatif la prestation des Indiens de BLOODYWOOD sur la MainStage 2. Habituellement, le matin, on est qu’une poignée de connaisseur à venir (ac)cueillir si ce n’est les meilleurs produits, les plus pointus en tout cas. Là, je peux vous dire qu’il y a du monde devant les adeptes du dohol. On voit donc à quel point la contagion des réseaux sociaux fait des ravages, nos Indiens s’étant d’abord fait un nom sur Youtube en reprenant des tubes pop à la sauce nü-penjabie… J’en pensais beaucoup de mal, j’en ressors plutôt séduit. L’énergie est positive, le groupe s’éclate et le public lui rend chaleureusement. Belle entrée en matière.
Dans la foulée, je file voir ZULU, la sensation hardcore from L.A., et son beatdown revendicatif sur la Warzone. Le quatuor californien s’appuie sur ses brûlots concis en faveur des droits civiques et pour la lutte contre les discriminations ( B.L.M. en tête ). Le chant est extrêmement agressif et reflète toute la violence que le groupe dénonce. Sous ses airs adolescents, ZULU ne plaisante pas et propose un set très court et très brut saturant de blast beats et de breakdowns dévastateurs un public de curieux et pantois venu observer sa nouvelle coqueluche.
Quelques boulettes de je-ne-sais-trop-quoi avec une dose de frites bien grasses pour combler ma faim et me voilà en route pour SVALBARD. Appréciant beaucoup la formation anglaise, je suis heureux de les voir monter sur scène devant une Temple pleine.
L’émotion semble partagée par le groupe puisque la chanteuse Serena versera sa petite larme en fin de show, heureuse d’avoir pu jouer ici, devant tant de monde. Mais pour le moment, le son n’est pas au rendez-vous, voire catastrophique, et transforme ces premières minutes en bouillie. Heureusement, les choses vont s’arranger et on finira par discerner les guitares lancinantes des riffs plus lourds, les chants saturés, des chants clairs… Et le post-metal des Britanniques va pouvoir se déployer sous la tente submergeant le public sous une vague d’émotion aussi authentique que séduisante. Le savant mélange de post-hardcore tendant de plus en plus vers le metal ( notamment sur les titres les plus récents et encore plus sur l’inédit « Faking It » ) couplé à des paroles très personnelles ( la dépression de la chanteuse sur « Open Wound » ) ou plus engagées ( le féminisme de « Currency Of Beauty » ) conquiert d’emblée le public qui ne cessera d’applaudir un groupe qui sortira de scène extrêmement ému… Ça fait du bien de voir autant de sincérité.
De loin, sous un soleil de plomb, je peux voir les Suédois d’ARCH ENEMY, accompagnés de l’hyperactive chanteuse canadienne Alyssa White-Gluz, essorer une MainStage déjà luisante de sueur et de crème solaire. Sa touffe de cheveux bleu engoncée dans une combinaison intégrale en latex ( ça doit suinter ) bouge dans tous les sens, growlant et haranguant une foule compacte. En terme de son, de show, de setlist, tout semble parfait chez ARCH ENEMY et rien ne semble laissé au hasard. Le public, brûlé par le soleil et chauffé à blanc par la débauche d’énergie et de tubes ( principalement issu de « Deceiver, Deceiver » ), s’agite autant que possible. Alyssa enfonce encore le clou avec un fracassant « Nemesis » qui finit un show d’une puissance et d’une violence que je n’aurais jamais soupçonné.
Quand il y a POWERWOLF à l’affiche, je dois avouer que j’ai du mal à ne pas aller les voir, à ne pas me laisser aller à rejoindre la meute et hurler avec les loups. Pourtant, tout dans ce groupe va à l’encontre de mes goûts mais il y a quelque chose que j’apprécie vraiment dans ce déferlement écoeurant de clichés et de « woh-ooh » à faire mal à la tête. En tout cas, on peut dire que les Allemands ont mis le paquet, arrivant à grands renforts de flammes et de confetti ( pas en même temps évidemment ) et avec son power metal ultra-kitsch et accessible ( de 7 à 77 ans ). C’est excellent, le public est déchaîné, c’est un peu la bande originale de n’importe quelle cuite version gothico-teutonne, la niche que le groupe s’est creusé et dont il est le maître incontestable. Bon, c’est aussi relativement répétitif et prévisible mais comment résister à un « Devil Are A Girl’s Best Friend » ou « We Drink Your Blood » ? Impossible !!
Après quelques titres, je choisis de quitter nos chers IRON MAIDEN que j’ai vu et re-vu pour aller jeter un oeil et une oreille aux Californiens de MONSTER MAGNET qui jouent en même temps sur la Valley…
Si les Américains ne sont pas à ranger du côté des découvertes mais plutôt des références, des pointures, cela fait surtout plaisir de les voir en forme et avec un show énergique ( ce n’est pas toujours le cas ). Amis routiers, motards et autres avaleurs de bitume, c’est votre heure ! La bande à Dave Wyndorf déboule avec son stoner-desert rock imbibé de ‘sky et d’amphét’, et ses tubes taillés pour la bagnole. MONSTER MAGNET ignorera d’ailleurs ses derniers albums pour faire la part belle à ses fétiches « Power Trip » et « Superjudge » et à un public qui l’aidera à entonner ces petits monuments du rock… À noter une ambiance très bon enfant et bien moins tassée que chez MAIDEN. On en redemande !!
Un coucou à VOIVOD pour leur souhaiter « la bonne fête », 40 ans de carrière !! Si le groupe n’attire pas les foules ce soir, coincé entre MAIDEN et THE HU, il fait le job avec le sourire, distillant son thrash si particulier avec ferveur et professionnalisme. Ça part dans tous les sens, du gros riff chaloupé, du solo, ça bouge la tête, c’est vraiment plaisant. Moi je les aime les Québécois, en plus le son est bon, et l’énergie du live rend plus lisible des titres qui peuvent parfois rebuter l’auditeur lambda.
Je pense autant de mal des Mongols THE HU que j’en pensais de BLOODYWOOD et je n’ai plus du tout envie de me faire surprendre ou d’être séduit pour aujourd’hui. D’autant que la Temple semble beaucoup mais beaucoup trop petite pour la réputation du groupe. Attendu par une énorme partie du public, quelques témoins m’expliqueront a posteriori avoir eu du mal à s’extirper et il semble que des mouvements de foule auraient pu provoquer quelques malaises…
Enfin, pendant que la boîte de nuit CARPENTER BRUT fait vibrer une MainStage couverte de paillette et baignée de néon – Dansez pauvres fous ! De son côté MESHUGGAH concasse et fait goûter à un public plus averti le fer et le béton armé – le son des presses hydrauliques et les hurlements du contre-maître à l’instabilité mentale avérée – ou quand les mathématiques et la science se mettent au service de la destruction. Servi par un son incroyable et par une setlist très axée sur le dernier album, la machine suédoise extrait, écrase avec force tout forme de vie pour alimenter son usine de mort. Rien ne peut survivre à ça… ni vous, ni moi, bonne nuit.
DIMANCHE
Les jours passent et se font de plus en plus difficiles pour moi, physiquement j’entends. La vie en béquille et siège roulant n’est pas des plus aisée ( je comprends d’autant plus les PMR/PSH ) malgré un festival, je le répète, très accessible. J’ose à peine imaginer un lieux plus vallonné ou sans chemins déjà tracés, gravillonnés… Un calvaire !
D’autant que ce matin, le temps tourne à l’orage… d’ailleurs le vent éloigne rapidement l’encens des Belges de WOLVENNEST qui avaient l’honneur d’ouvrir la Warzone. Je n’en vois qu’un ( long ) morceau, trop occupé à enfiler k.way et capuche. Dommage car j’adore leurs sonorités heavy occultes et le son toujours envoûtant du thérémine manié d’une main de maître par la ténébreuse Shazzula.
À peine la sorcière sortie de scène, le vent souffle plus fort encore et la mousson s’abat sur le site. Tous aux abris. Qui file en courant dans la forêt, qui s’abrite sous un vieux camion troupier, des modules rouillés, de vieilles bâches militaires ( trouées pour le style ) qui laissent passer d’énormes gouttes ou de minces filins aqueux, voire craquent et déversent plusieurs litres d’eau sur les malheureux embusqués. Le temps file, l’attente paraît longue mais les groupes continuent à jouer devant des grappes de guerriers détrempés. Je rentre ma tête dans mes épaules, le ciel tonne.
Après avoir consulté la météo, et avoir vu qu’elle allait continuer à être capricieuse, je décide tout de même d’aller voir HO99O9 sur la MainStage 1. Et on peut dire qu’ici la fête bat son plein pour le trio qui malmène son ( mince ) public grâce à un groove imparable et une énergie débordante. Le groupe assume son flow entre punk, hip-hop et électro-noise qui tabasse ! Sous l’eau, le pit s’affole, tournoie, s’écrase et donne de la voix pour mieux se réchauffer. Le typhon HO99O9 sème le chaos, quelle ambiance !
TREPONEM PAL profite également de la pluie pour attirer du monde sous la Temple et distiller son indus’ bariolé à grands renforts de funk et de reggae… Je suis agréablement surpris par l’énergie de ces vétérans. Ils conquièrent d’ailleurs sans mal les coeurs humides ( grâce notamment à cette super cover de « Funky Town » ) et sèchent mes larmes. Triste que je suis de ne pouvoir aller rencontrer la terrible et extraordinaire voix de Lzzy Hale ( HALESTORM ) qui met le feu à la MainStage ( il ne fallait pas les louper, tant pis… ). Coincé sous les tentes, épuisé, empêtré dans mon imperméable, encore moins mobile que par temps sec, l’humidité ralentissant encore un peu plus ma progression, je décide de rester où je suis afin de mater tranquillement le TGV VEKTOR saccager l’Altar avec son turbo-thrash ultra-technique. La puissance dévastatrice et criarde des Américains me redonne quelque peu le sourire et la force de retourner au « combat ».
Et ça tombe bien car c’est l’heure de la bagarre sur la MainStage avec HATEBREED. Les Américains aussi aptes à déclencher des rixes qu’à faire tourner des serviettes profitent du retour du soleil pour nous asséner un set concis, direct et sans faille avec une collection impressionnante de titres aussi mémorables les uns que les autres et joués à la vitesse de l’éclair. Jamey Jasta arbore son nouveau look – cheveux longs, barbe rousse – et me paraît increvable, toujours charismatique, toujours avec la même énergie ( débordante ), toujours avec les mêmes mimiques aussi… HATEBREED reste une valeur sûre, unificateur et redoutable dans son art, celui de la baston ! Les dernières notes de « I Will Be Heard » résonnent et viennent clôturer cette petite heure de set qui m’a donné l’impression de n’avoir duré que quelques minutes… « Je vous ai entendu ! »
À mon grand désespoir, les Finlandais de GRAVE PLEASURES et leur post-punk racé n’attirent pas grand monde sous la Temple… Le retour du soleil ou peut-être un horaire pas très adapté et un son une fois de plus étrange sous les tentes auront fini de décourager le public. Dommage, car la musique du groupe ( très appréciée des connaisseurs ) vaut le détour, tout en grâce et en désinvolture, et portée par la splendide voix de Mat McNerney ( qui avait fait danser les foules la veille avec CARPENTER BRUT ).
Bref, je file à INCUBUS… Et non ! Le groupe est remplacé au pied levé par les Espagnols de CRISIX. C’est une bonne surprise pour eux comme pour nous. Décidément, CRISIX est partout, prêt à tout. Je pense que le groupe a du mal à y croire et semble vivre un rêve éveillé : jouer sur la MainStage II juste avant TENACIOUS D. et PANTERA. Allez, c’est parti pour une heure de thrash et de bonne humeur ! Extra !
Bon, j’ai jamais trop été dans TENACIOUS D. et le concert ne m’a pas spécialement convaincu de me jeter goulument sur les productions des deux compères. C’est marrant, potache, c’est entre le spectacle comique et le concert, voire vraiment plus un spectacle comique… En fait, je crois que je m’en fous un peu…
Imaginer voir PANTERA était quelque chose qu’il m’était interdit de rêver… Et pourtant le back-drop à l’écriture métallique est bel et bien là en face de moi. Si c’est la disparition des frères Abbott qui a permis au groupe de « se reformer », c’est avec des amis proches du groupe ( Zakk Wylde et Charlie Benante ) venus prêter main forte que les « deux survivants » vont essayer de faire revivre la légende !
Alors oui ça n’est pas vraiment PANTERA diront les puristes mais on n’a que ça ! Et quoiqu’on en dise, quoiqu’on en pense, entendre ces hymnes en live est purement jouissif ! Pour l’occasion, Zakk Wylde la joue sobre et n’en rajoute pas, Benante fait le taff, Rex reste stoïque comme d’hab’ et Anselmo fait du Anselmo mais en plus svelte que les dernières fois où je l’ai vu.
Derrière, le quatuor enquille les tubes et rend un magnifique hommage aux deux disparus en collant le plus possible à l’esprit originel. Le public le ressent et donne tout sur les plus beaux grooves que le metal ait jamais crée. Si plus personne n’est jeune dans l’équipe, public comme musiciens, le retour en arrière est réussi et on voit des crânes dégarnis headbanguer au rythme du fameux « Cowboys From Hell » ! Quel pied !
Certains, les plus fous d’entre nous, vont se frotter à SLIPKNOT, ils finiront à terre, rampant péniblement vers la sortie, les yeux brillants, brûlés par les feux de bengales et la puissance des hommes masqués ; d’autres restent plus sages, attendant la langue pendante et le ventre à terre, la tête entre les genoux, cramés, que les dieux du metal les libèrent dans une explosion lumineuse conférant à l’extase…
Maintenant, après une année encore exceptionnelle que ce soit en terme de recettes comme en terme de fréquentation, la question se pose de savoir où veut et où va aller le Hellfest ?
La mise en vente des places 10 jours a peine après la fin de la dernière édition ne finira-t-elle pas par couper définitivement le festival de la frange la moins favorisée de son public ? C’est une possibilité qu’il faut envisager et j’ai peur qu’il en découle beaucoup d’amertume et une certaine sécheresse artistique.
Car si on peut se targuer d’avoir un festival extrêmement développé et compétitif, attractif par ses têtes d’affiches, quid du reste ? Est-ce qu’on veut une succession de gros nom sur des t-shirts estampillés, une énorme armada marketing et pas grand chose derrière ? Je ne sais pas. J’écoute les voix assonantes et dissonantes… Et j’ai l’impression que le fossé se creuse. Qu’en est-il aussi de la programmation ? On voit de moins en moins de personnes s’intéresser au groupes plus confidentiels ( c’est mon impression )… Certains ont tendance à s’en plaindre, d’autres à s’en réjouir. Devant les scènes en attendant les concerts… Ça continue de discuter, d’échanger, de grogner… Preuve que les fans et « les grognards » sont encore là, mais pour combien de temps encore ?