Lors d’une sortie postprandiale, au bout d’un après-midi morne, le monde semblait rond, semblait tourner en rond. Une boucle dans une boucle, dans une boucle.La mienne, la tienne, se confondant dans celle des autres, se baladant, marmonnant, rabâchant les mêmes petites choses, les mêmes petites histoires, dans les mêmes petits pas, dans les mêmes files d’attente, pour se garer, pour manger, pour boire, pour pisser, pour chier. On se regarde, on se voit, on tournoie. De boucle en boucle en boucle, sur les mêmes pontons, sur les mêmes plages, devant les mêmes panneaux explicatifs, devant la même étendue salée, opaque et marronnasse, laide au possible.
De boucle en boucle en boucle, on respire le même air puant, soit disant iodé et bienfaiteur, on s’adonne aux plaisirs chimiques d’une friandise à basse ou haute température, au choix. On regarde les mouettes et les albatros, eux aussi tourbillonner dans le ciel, attendant avec avidités de goûter nos restes.Des années, des mois, des saisons, des journées, des heures, des minutes, des secondes, toutes identiques, à tourner en rond, dans le même sens, dans les mêmes rues grises, à chercher une place, à se chercher une place, sous le même ciel pastel et venteux.
De boucle en boucle en boucle, on croise aussi les courbes d’autres paumés, errant, se déplaçant machinalement, rosace bordélique aux piètres perspectives, s’agglomérant autour de la même toupie mécanique, manège grotesque aux animaux difformes et monetophages sur lequel les bambins criards tournoient et saluent les adultes hébétés et décrépis. Comme si ce carrousel était le centre du monde, comme si tout ce monde tournait incessamment autour de ce même axe, lamentable et imperceptible, inaltérable rotation.
De boucle en boucle en boucle, toi et moi, l’un contre l’autre, luttant contre leur attraction, contre cette pathétique inertie, s’accrochant au rebord de la fenêtre avec le bout des ongles pendant que l’immeuble est en proie aux flammes, tentant de déplacer cet essieu spatio-temporel, essayant de créer le nôtre.
Toi et moi, encerclés, de boucle en boucle en boucle, essayant de trouver, d’inventer la nôtre. Parias parmi les derviches. Toi, moi, et ta crêpe au sucre, non pas ronde, mais présentée en enveloppe, carrée. Enfin.