[ Chronique ] ENSLAVED – Heimdal ( Nuclear Blast )

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Il est assez déroutant de se rendre compte qu’ENSLAVED va sortir son seizième album… Déjà pour la longévité et la persévérance du groupe, ensuite pour l’incroyable talent et l’inventivité dont les Norvégiens ont su faire preuve depuis leurs débuts. Ce nouvel album, « Heimdal », en est une fois de plus la preuve, un périple inspiré et inspirant à travers des racines forgées il y a près de trois décennies mais aussi par la volonté d’évolution permanente et de quête expérimentale, cette même volonté de ne pas emprunter le chemin noirci de ses pairs.

« Utgard », paru en 2020, a semble-t-il été le début d’une nouvelle phase pour ENSLAVED, un album plus concis et direct mais plongeant plus profondément dans l’ésotérisme, dans la mythologie nordique, comme un regard jeté en arrière, vers le passé, vers l’obscurité du commencement. « Heimdal » s’inscrit à l’envers, et renoue avec les longues compositions pleines de progressions et d’atmosphères intenses.

Comme pour chaque sortie d’ENSLAVED, l’album doit donc se voir comme un voyage, intérieur et extérieur, fait d’ambiances bouillonnantes, de riffs fiévreux et clapotants, d’espaces, de vagues d’eaux noirâtres et de lumières éclatantes. C’est sur une frêle embarcation que tout commence, au son du cor, alors que l’aube point, orange, et que la brume se lève sur le fleuve. Le son des rames vient percer la fine pellicule aquatique, créant des milliers d’ondes se distordant, se fondant les unes dans les autres, jusqu’à disparaître dans un tumulte assourdissant.

Le rôle d’Heimdal dans la mythologie nordique est particulier, à part. Créateur du monde à l’origine obscure, assimilé parfois à Odin, il semble également pouvoir en être le successeur après le Ragnarok, comme une sorte de cycle incertain… Ici, Ivar Bjørnson et Grutle Kjellson cherchent des correspondances avec leur propre parcours, interrogeant leurs débuts black metal, leurs influences thrash côté allemand, leurs tempéraments plus rock à la ZEPPELIN tout en intégrant des nappes électroniques ( qui avaient déjà fait leur apparition sur les dernières oeuvres du groupe ). Les compositions gagnent alors en amplitude et en profondeur, plus progressives mais aussi et étonnement plus extrêmes que sur « Utgard ».

On y retrouve un ENSLAVED multi-couches, « en lasagne », autant dans ses idées que dans sa musique : il se passe toujours quelque chose sur « Heimdal ». Immédiatement derrière ce cor puissant, on plonge dans l’inconnu et c’est terriblement séduisant : le suffocant « Congelia » nous transperce de sa glace primaire que le chant clair de Håkon Vinje peine réchauffer dans une sombre chevauchée digne des des plus furieuses messagères d’Odin. Messagères qui continuent leur implacable cavalcade sur l’odyssée psychédélico-thrash « Kingdom ». Sans oublier le plus nostalgique et typique, « Forest Dweller », qui nous entraîne lentement, calmement mais sûrement, des forêts accidentées aux plaines dévastées. Et c’est grâce à cette constante nuance dans ses dynamiques mais aussi dans la portée cathartique et immersive de ses mélodies que « Heimdal » opère son principal tour de force.

Un de mes titres favoris reste l’ultime et éponyme, ouvrant le plus de perspectives. Celui-ci se découpe en trois parties : la première est faite de riffs massifs représentant Heimdal annonçant l’arrivée imminente du Ragnarok ainsi que son passage dans l’autre monde. La seconde se veut plus aérienne, presque cosmique mais nous (re)lie à l’humanité grâce aux messages déclamés par les proches d’Ivar Bjørnson et adressés à leur moi futur, ceux-là étant combinés à un texte ancien connu sous le nom de sort Heimdal. Enfin, la troisième voit réapparaître Heimdal, puissant guide des Hommes, afin de nous conduire vers une destinée indéfinie et indéfinissable , un ( nouveau ) monde encore inconnu mais rempli d’espoir.

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ENSLAVED revient ici en grande forme et en pleine possession de ses capacités. En embrassant les ténèbres et les brumes de l’incertitude, il propose un album très dense et riche, sûrement l’album le plus cohérent depuis longtemps et pourtant il n’est pas sans évoquer une multitude de questionnement quand à son avenir proche notamment les mystères de la création et la complexité du renouvellement permanent. C’est la conclusion de l’oeuvre : un portail ouvert, un passage obscur vers le royaume de Heimdal, donc vers l’inconnu ? Vers des chemins déjà arpentés maintes et maintes fois ? Vers une aube nouvelle ? Qui sait ?

 

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