Playlist Sound-Protest de février – Anawim.

image article Playlist Sound-Protest de février - Anawim.

Voici un personnage, un être qui vit entre deux flaques, sur le seul endroit goudronné et sec, là où il peut (sur)vivre, là également où se love et grouille la vermine, « son peuple », celui des « courbés » et des « inclinés », dénué de ressources tant matérielles qu’immatérielles.
Voici donc un être habitué à vivre en bas de la cascade, le parapluie grand ouvert, usé par le tip-tap permanent des averses de mépris, bercé par la mélodie du vide, le son du plastique déchiqueté, accroché au grillage, le contact du carton humide et la mastication croustillante des camions poubelles.
Voici un être qui a toujours regardé les autres d’en bas, un être qui n’a rien perdu puisqu’il n’a jamais rien eu. Étranger à la séduction économique, soumis aux dons et à la charité, à la morale dégoulinante de bienfaisance christico-pécunière. Dépendant des autres, dépendant à tout et à tous, même de ces chiens à qui il réclame amour et tendresse mais avec lesquels il ne partage plus rien, ni la faculté animale d’innocence, ni la laideur attendrissante. 
Voici le personnage d’une fiction trop réelle, qu’on croise tous les jours, voici le caractère d’un cauchemar éveillé, une ébauche proto-humaine, incapable d’appartenir à un quelconque groupe social. Dépossédé, de son nom, de ses mots. Même son propre corps ne lui appartient pas, plus. 
Voici un être maintenu volontairement dans sa condition, dans cette fabrique de domination, sous le joug de l’ordre des choses, sans possibilité de rébellion, par besoin, par exemple, pour flatter la comparaison, pour transcender l’empathie, pour un monde meilleur diront certains, nécessaire pour les autres.
Voici cet être, en position extatique, immobile comme un sujet d’anthropoplastie galvanique, taxidermisé. À peine un objet, éventuellement une image peu ragoutante, un concept. Statue craquelée et vermoulue « dans la lueur lavande de l’aurore », devant laquelle on passe sans même la voir. Fantôme parmi les spectres. 
Voici un être devenu saprophage, par nécessité, un être qui ne rêve plus, qui ne souhaite ni n’espère plus, qui n’attend que sa propre vivisection, son ferum dilaceratio corporis, que son coeur soit jeté loin de son corps, donné à manger à la vermine, qu’il nourrisse enfin les autres et disparaisse à jamais. 
Fini alors l’envie, la jalousie, la dépendance, la douleur. Fini la chiasse, fini la bile, fini le regard perdu et le Tecato Gusano qui ronge ses intestins, fini les liqueurs fortes et les substances au nom complexe, fini les préparations pharmaco-techniques qui assèchent le corps et blasent l’âme. 
En finir avec cette souffrance. Enfin. Attraper vite, le premier outil, un simple tournevis, une fourchette ou un bout de ferraille et se l’enfoncer dans le globe oculaire jusqu’à ne plus rien voir ni sentir, jusqu’à s’écrouler, toujours entre ces deux flaques. Et mourir au sec, parmi les siens, au moins ça. 
Mais face à ce ver psychique increvable, la résistance est inutile, la révolte obsolète, sujet d’un royaume sans volonté, impassible, l’être continue et continuera d’attendre, égrenant chaque heure, chaque minute, chaque seconde… se demandant juste, dans un souffle pénible, quand est-ce que tout ça va s’arrêter…

Partager