La sortie d’un nouvel album de BIG|BRAVE est toujours un petit évènement. En effet, le trio trouve toujours les « bons » mots et les « bonnes » sonorités ( souvent doom et post’, parfois plus doom ) pour exprimer ce que je décrirais comme « l’indicible ». Leur musique très émotionnelle et pleine d’urgence, résonne, déchiquète, se joue de symboles, de textures, d’ambivalences, de vacarmes et de silences.
Après sa récente collaboration avec d’autres explorateurs sonores ( THE BODY ), le trio canadien est de retour avec son sixième album brandissant l’absence et la densité comme des armes, et nous projetant les mêmes atmosphères crispantes, les mêmes rythmes voluptueusement apathiques, les mêmes éruptions et ouragans cyclothymiques qu’on lui a connu par le passé… et qui nous ont fait tant aimer le groupe.
« Une authentique nature morte naît le jour où un peintre ( un artiste ) prend la décision fondamentale de choisir comme sujet et d’organiser en une entité plastique un groupe d’objets. Qu’en fonction du temps et du milieu où il travaille, il les charge de toutes sortes d’allusions spirituelles, ne change rien à son profond dessein d’artiste : celui de nous imposer son émotion poétique devant la beauté qu’il a entrevue dans ces objets et leur assemblage. » Voici ce qu’en disait le célèbre historien Charles Sterling. Qu’en est-il maintenant de cette « Nature Morte » proposée par BIG|BRAVE ?
Si le groupe soumet un album à forte intensité, ne faisant ainsi pas exception au reste de sa carrière, il amène également de nouvelles idées, des réflexions notamment sur l’exclusion, la folie, l’assujettissement de la féminité dans toutes ses pluralités, et les traumatismes qui en découlent. « Nature Morte » est un album profondément violent, aiguisant la férocité, plongeant dans le désespoir, tout en y jouxtant un forme de beauté éthérée – ferveur pure, colérique et massive – tordant les textures et les structures jusqu’à l’abstraction, voire l’insondabilité.
Sur de longues plages, BIG|BRAVE explore ainsi tout son malaise, qu’il infuse lentement dans le cortex cérébral de l’auditeur, créant des images de beauté en décomposition, d’accords suspendus dans une immobilité contemplative. Difficile donc d’aller trop avant dans la description de « Nature Morte » tant l’interprétation se doit d’être personnelle et le ressenti unique. Disons que BIG|BRAVE joue toujours avec habileté sur la force de la distorsion et le poids du silence obtenant un rendu hautement cathartique. À ce titre, la voix de Wattie qu’elle soit douce et intime ou plus appuyée, vulnérable et presque au bord de la rupture, y joue un rôle prépondérant en accentuant les aspects les plus douloureux des « images sonores » présentées.
Chaque titre est chargé d’émotions singulières, minimalistes mais dévastatrices. Et si « Carvers, Farriers And Knaves » agit comme un rouleau compresseur implacable qui finit en crissements distordus, le reste de l’album se veut moins structuré mais plus imposant et plus axé sur les détails. Le très drone « My Hope Renders Me A Fool » finit par s’évanouir lentement sur des accords pensifs, clairs mais teintés d’amertume. Comme pour mieux s’enchaîner avec « The Fable Of Subjugation » qui joue sur des aspects folk minimalistes se disloquant dans la douleur avant d’éclater en un rugissement monolithique, pur et simple.
À travers ces six nouveaux morceaux, six parties d’un même tableau, BIG | BRAVE crée quelque chose de beau et de chaotique, une tension entre l’immédiateté et la patience, provoquant l’inquiétude, tout en exprimant son angoisse à travers des arrangements inventifs et des nuances fortes. « Nature Morte » est une véritable vision, une émotion poétique qui se retrouve dans son assemblage comme dans son essence, il est une bombe émotionnelle à la douleur intrinsèque, une excavation des gouffres intérieurs, des sentiments sombres, viscéraux.
Assez d’accord avec al chronique, c’est percutant, original, étonnant.