L’époque est au bilan, aux classements, et même si on n’est pas forcément à l’aise avec cet exercice, on s’y prête tous, plus ou moins. Dans un dernier regard jeté à 2022, on regarde le temps qui s’est écoulé avec une certaine nostalgie ou avec l’envie de se tourner vers l’avenir ( pour ceux qui croient aux utopies ).
Comme on le dit chaque année, nous ne sommes pas pour les prix, il n’y a pas de meilleurs, de vainqueurs dans l’art, il y a peut-être des tendances, des coups de coeur, et des chef-d’-oeuvres mais tout est bon à prendre et à décortiquer si on a un tant soit peu le temps et l’envie, la passion.
Cette année, nous avons donc identifié une grosse vingtaine d’albums que l’on a eu envie de mettre en avant, des albums qui nous ont accompagné, parfois juste quelques heures mais qui nous ont donné du plaisir, nous ont surpris ou ont rendu ce monde plus agréable à vivre. Une fois de plus c’est en toute subjectivité que nous vous offrons nos avis, tout en restant ouverts aux débats, car si on a enfin pu se retrouver, se ressentir à nouveau, la critique est elle aussi revenue, plus acerbe que jamais et concomitante à une forme d’abolition de la pensée…
Il y a un an, nous placions nos voeux, nos espoirs dans un retour « à la normale ». Nous en avons vu les conséquences, déroutantes, troublantes, tant par leur force que par leur inégalité. Car oui, la saison des festivals et des concerts fût prolifique, la fête a battu son plein, on a vu des scènes remplies ras-la-gueule de public sous un cagnard dantesque. Mais à l’heure du bilan une question nous taraude : où sont donc passées les belles promesses des mois de disette ? Car au final, ce sont bien les gros qui ont gagné et les petits qui ont ramassé… Force est de constater que beaucoup de groupes, de festivals, d’associations n’ont pas réussi à revenir, à retrouver leur public…
On espère donc une meilleure année 2023, une année loin du rejet et de l’ignorance, une année particulière et non générique… On remercie et on apporte notre soutien à toutes les orga’ qui se battent à l’année, tous les artistes petits ou grands qui nous font vibrer sans discontinuer et tous les gens qui travaillent de près ou de loin à la culture et à sa promotion. À très vite !!
Nos 4 albums indispensables de 2022 :
HEILUNG – Drif
Depuis sa création, l’énigmatique collectif HEILUNG ouvre de nouvelles perspectives au style néo-folk. Avec un regard singulier vers le passé tout en ne délaissant jamais le présent, le trio s’est inventé sa propre étiquette avec le terme : Histoire amplifiée. « Drif » semble vouloir aller plus loin que simplement créer un lien, si ténu soit-il, entre passé et présent. HEILUNG y expose donc sa propre spiritualité, sa propre philosophie, hors des religions institutionnelles ou des idéologies politiques, il part en quête d’harmonie et de connexions inter-civilisationnelles. Il rend ainsi hommage à toutes les cultures, celles d’Orient et d’Occident, celles du passé et du présent, les liant les unes aux autres, leur insufflant un sentiment d’ouverture permettant d’éviter l’insularisme, une oeuvre comme une manière de guérir et bercer d’espoir notre monde ( qui semble en avoir de plus en plus besoin ).
CULT OF LUNA – The Long Road North
« The Long Road North » est donc un album truffé de significations, la nouvelle pièce d’un puzzle métallique que CULT OF LUNA essaye de résoudre depuis plus de vingt ans. Il symbolise d’abord un voyage mental, celui qui nous fait sortir du chaos émotionnel pour nous amener doucement vers la sortie, vers un retour à la plénitude et à la sérénité. Mais il incarne aussi un voyage physique et bien réel, celui de Persson vers Umeå après 15 ans passé à Stockholm. Un retour au bercail qui a rapproché les membres du groupe et a facilité le travail d’écriture, le processus collaboratif. Cela transparaît dans la musique qui se veut immersive, cohérente, et qui nous montre que le groupe a accompli une partie de cette grande route vers le Nord, là où l’environnement et les paysages sont omniprésents, et il nous les peints avec ses mots, ses sons et ses sens.
A.A. WILLIAMS – As The Moon Rests
La Britannique est revenue avec son second album « As The Moon Rests », et si on le compare à ses premiers essais, il est une progression en tout point. À travers ses émanations introspectives, l’artiste vient nous labourer le coeur, va chercher en profondeur, réussit à créer des mélodies remarquables, des refrains accrocheurs, touchants, bouleversants et donc inoubliables. Le coeur en ébullition, on comprend qu’elle se parle autant à elle qu’à nous, se rassure autant qu’elle essaye de nous rassurer, nous parle d’amour et de lien indéfectible entre les personnes, ou entre deux parties conflictuelles de nos propres êtres. Elle essaye de se comprendre et de s’accepter plutôt que de chercher à se cacher ou s’annihiler, elle assume cette fragilité pour en faire une force, la partager…
ZEAL & ARDOR – Zeal & Ardor
Cet album est sûrement le plus abouti de la courte carrière de ZEAL & ARDOR, la synthèse parfaite de toutes ses influences et un amusement qui s’affranchit de l’idée iconoclaste originelle pour aller vers le plaisir d’innover que ce soit pour l’auditeur comme pour le créateur. Tout se combine, se panache, s’entremêle avec fluidité : rien n’est impossible et à chaque coin du péristyle sonore, derrière chaque colonne se cache une idée que l’artiste met en place et arrive à mener à son terme, en son coeur.
Nos coups de coeurs ( par ordre alphabétique ) :
AMON AMARTH – The Great Heathen Army
Plus death-metal que ses prédécesseurs, The Great Heathen Army offre toute de même son lot d’hymne pour les fans qui ont pris l’habitude de ramer dans le mosh pit lors des concerts du groupe. Leur guitariste Olavi Mikkonen avait même déclaré que Berserker (2019) était leur album « heavy metal ».
ASTÉRÉOTYPIE – Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme
ASTÉRÉOTYPIE est groupe inédit, constitué de quatre musiciens atteints d’autisme dont on a pu voir les performances dans l’excellente émission, Les Rencontres De Papotin. Présent au Transmusicales de Rennes en 2022, le groupe offre avec humour, sa joie de vivre comme un cadeau que fait la vie…
ASUNOJOKEI – Island
« Island » a été LA parenthèse japonaise de cette année. Le groupe y tisse un paysage noirci de shogaeze avec un sens du tragique que l’on retrouverait chez compatriotes du studio Ghibli, offrant l’unique impression d’être allégé, le temps d’un album, de la lourdeur, de la pesanteur. Un voyager entre les nuages vers les plaines vertes, battues par le vent. Rafraichissant.
ATROCIA – Contamination
Du death des 90’s fait en France par des Lillois, dans une tradition respectée à la lettre. On y retrouve un air de SUFFOCATION, mixé à la hachette avec CANNIBAL CORPSE. Chapeau !!
BIRDS IN ROW – Gris Klein
Sur « Gris Klein », BIRDS IN ROW semble vouloir aller de l’avant en dévoilant un peu plus son visage, sa nature profonde, en mettant le gris au rang de couleur et de guide. Le groupe y déploie tout son art « d’après », ses goûts viscéraux de plus en plus maîtrisés et concis, tout en conservant le même engagement et une sauvagerie intacte. Hâte de les voir sur scène !!
BRUTUS – Unison Life
Ce nouvel album montre un BRUTUS à son paroxysme, aussi extrême qu’éclatant, plus dense, plus doux, plus mélodique que jamais. Inattendu, beau et surprenant, il montre la force d’un groupe prêt à tout pour son art, résolu à repousser ses propres limites dans une quête insensée de la chanson ultime. « Unison Life » est donc une expérience envoûtante ou déstabilisante, chacun y trouvera son compte, ressentira l’album différemment, tant il est soumis aux humeurs et aux aléas…
CØLLAPSE – ἈNÁΓKH
CØLLAPSE évoque la chute, un état de basculement immuable jusqu’au néant. Ce concept prend forme à travers une musique instrumentale cherchant à créer un univers ambigu. Leur quatrième album marque donc une évolution significative vers une musique encore plus intense, plus sombre et plus violent avec toujours l’envie de créer des concepts originaux et d’aller jusqu’au bout…
DAUFØDT – Aromaterapi
« Aromaterapi » est un album de noise rock, dur, rapide et violent, un album qui pousse le style dans ses retranchements. Les Norvégiens DAUFØDT déclarent : « Une grande partie de la musique que nous aimons est ici poussée à un point tel que vous avez peur que tout s’effondre. C’est cette excitation et cette énergie que nous avons essayé de capturer. Nous voulions que l’auditeur ne se sente pas en sécurité, qu’il ne soit pas plaisant d’écouter Aromaterapi ». Attention ! Haute tension !
DECAPITATED – Cancer Culture
Après tous les obstacles auxquels le groupe a dû faire face, DECAPITATED est définitivement un groupe qui ne pourra jamais décevoir. Les Polonais apparaissent ici plus confiants que jamais : matures, expansifs et agressifs. Et « Cancer Culture » n’est qu’une nouvelle étape méticuleusement préparée pour atteindre de nouveaux sommets, toujours aussi extrêmes mais différents. Il est exactement ce que l’on attend d’eux : une chevauchée agressive, une explosion cathartique de riffs menaçants qui impose ( on l’espère ) définitivement DECAPITATED comme l’un des meilleurs groupes de sa génération ( il serait temps ).
FAETOOTH – Remnants Of The Vessel
La révélation de cette fin de l’année !! Des jeunes sorcières de L.A. qui se sont rassemblées en conclave pour célébrer le vieux démon BLACK SABBATH. Un album dans la veine d’un WINDHAND, avec une fraîcheur féérique pour cacher l’odeur délétère de notre monde. Une perle de mélancolie avec une boule de spleen hargneux à l’intérieur qui se déguste comme un dessert doux-amer…
GHOST – Impera
« Impera » marque une nouvelle étape dans la carrière de Tobias Forge et de ses petits fantômes avec une entrée fracassante dans le monde du rock à tendance FM, très propre et lumineux, bien loin des débuts doomy mystico-mystérieux du Suédois… La participation de compositeurs comme Salem Al Fakir ou Vincent Pontare ( connu pour leur travail auprès d’artistes comme Katy Perry, Madonna, David Guetta ou Lady Gaga ) n’y est peut-être pas pour rien !!
HANGMAN’S CHAIR – A Loner
L’univers d’HANGMAN’S CHAIR se fait ici de plus en plus précis et reconnaissable, les titres sont homogènes et s’assimilent facilement, grâce au côté pop’ notamment que l’on retrouve dans les mélodies entêtantes qui se diluent, sorte de naufragés dans une mer d’effets toujours plus prégnants. Le groupe en quête de latitude semble s’éloigner vers des eaux froides mais sensibles, jusqu’à perdre de vue les falaises de distorsion qu’il a tant chéri par le passé.
IMPERIAL TRIUMPHANT – Spirit Of Ecstasy
« Spirit Of Ecstasy » est une oeuvre impénétrable, d’un mysticisme fort et affiché, elle absorbe la force vitale pour mieux la transformer en flux sonore informe. Il ne reste alors qu’à se faire aspirer par ce tourbillon décadent où la brume toxique et les lumières urbaines opulentes troublent les sens, désorientent et attirent dans un continuum espace-temps plus qu’incertain, colossal cimetière civilisationnel, sorte de cauchemar ploutocratique où règne la brutalité absolue de la machinerie capitaliste.
MESSA – Close
MESSA, le groupe italien de Treviso, dont les deux derniers opus nous ont particulièrement charmés, est revenu cette année avec « Close ». Influencé par PENTAGRAM, UFO et BLACK SABBATH, l’empreinte 70’s s’est faite ressentir dès leurs premières compositions. Ce groupe emprunte des chemins peu communs, avec des arrangements rêveurs, remplis de mélodies mélancoliques et de spleen, cernés par le chant de sirène de Sara. Drapée de noir, la chanteuse bouleverse les attentes par son charme digne d’Hécate, à la fois chtonienne et lumineuse. A l’image peut-être du single « Dark Horse », 7 minutes de cavalcades furieuses rythmiquement calé sur le battement d’un coeur qui s’affole, un titre qui parle « d’anxiété, d’angoisse ».
MONUMENTS – In Stasis
Sans surprise, MONUMENTS balance son meilleur djent, avec une écriture solide et technique. Au-delà d’un énième album du style, « In Stasis » ne joue pas tout sur sa lourdeur et ses saccades infinies mais plutôt sur une fluidité, une vivacité et des atmosphères éthérées… Un uppercut inattendu, bien placé, et qui vous colle immédiatement au tapis !
NAPALM DEATH – Resentment Is Always Seismic
L’EP qui poursuit l’expérimentation du long métrage « Throes of Joy In The Jaws Of Defeatism ». Le titre d’ouverture est destructeur et lave le cerveau de toutes les conneries que vous fait subir une journée collée derrière un bureau. NAPALM DEATH, après 35 ans de carrière, est toujours aussi salutaire et indispensable.
NOSTROMO – Bucephale
La bombe de cette fin d’année qui rassure. La vieille garde suisse revient battre le fer – après un retour dantesque au Hellfest 2017, un concert d’anthologie !! Ils auront mis 18 ans à donner une suite à “Hysteron-Proteron”, un album composé de version acoustique qui aura séduit un plus large public, y compris au-delà du cercle des metalleux. On a juste envie de les voir en live en 2023 et se prendre un « Lost inside » à faire saigner les gencives !
NOTHING MORE – Spirits
Le 7ème album du groupe de rock US 3 fois nominés aux Grammy revient avec 13 chansons avec la musique la plus aventureuse et intense que le groupe ait produit. Des paroles à la fois introspectives et des hymnes massives tailler pour les stades. L’album des texans surprend dans sa continuité : on y croise parfois des riffs classique du neo-metal, et d’autres complétement fous et inventifs (« Don’t look back »), des lignes de basse surprenante de Daniel Oliver avec de effets explosifs très futuristes, sans oublier la performance du chanteur Jonny Hawkins, rappelant dans l’esprit aérien Chris Cornell, à l’égal de sa présence scénique.
TVIVLER – Kilogram
Avec son deuxième album, « Kilogram », le groupe de Copenhague reste sur le fil et continue de développer un post-hardcore sensible, qui joue autant sur les émotions que sur l’intellect. Le quatuor continue d’évoluer tout en conservant son chant en danois aussi assumé qu’engagé ( le poing levé ) !