[ Chronique ] -(16)- – Into Dust ( Relapse Records )

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J’ai toujours plus ou moins suivi la carrière de -(16)- mais sans jamais me plonger vraiment dedans, sans jamais chercher à en savoir plus. Malgré leur longévité ( presque trente ans de carrière ), j’ai toujours eu le sentiment d’avoir à faire à un énième groupe de sludge ne traitant que de bécanes, de bitumes, de drogues et de bitures, mais force est de constater que leur précédent méfait, « Dream Squasher », a tout écrasé sur son passage et a ramené le groupe sur le devant d’une scène sludge qui me semble parfois à bout de souffle. 

Une fois passé les vieux de la vieille de la Nouvelle-Orléans et les jeunes qui se laissent un peu trop aspirer par le psychédélique, il est vrai qu’on manque de groupes comme -(16)-, donnant dans un sludge frontal, authentique, passant son temps à remuer et barboter dans cette mare d’excréments qu’est notre monde plutôt que d’en chercher la reconnaissance. Ce nouvel album baptisé « Into Dust » semble cependant réussir le pari d’être encore plus sombre et profond que ses prédécesseurs tout en explorant différentes pistes sonores, comme pour mieux nous démontrer que le quatuor peut encore évoluer, s’affirmer, imprimer sa patte, et salir à peu près tout ce qu’il touche…

« Into Dust » est une collection de récits édifiants sur la survie et la rédemption, aussi troublants et urgents que séduisants. Il est un amalgame de riffs empruntant au sludge, au punk, au metal, au hardcore, au stoner, le tout remanié à la sauce -(16)-, c’est à dire avec un goût ferreux et aigre, faisant monter le malaise par le plexus jusqu’à l’installer dans le fond de la gorge, jusqu’à pouvoir presque le palper, mais sans jamais arriver à le ravaler, ni l’enfouir.

Ainsi, l’album débute sur un trottoir de Floride avec dans les mains un avis d’expulsion, signifié au milieu des ruines de l’ouragan Irma et s’échoue métaphoriquement, se noie dans les différents confinements, comme un témoin de la souffrance moderne, de la faim et de la pauvreté à la frontière entre le Mexique et la Californie…

Du frénétique et gras « Misfortune Teller » au « tube » martelant « Scrape the Rocks », l’entrée en matière se veut donc plutôt brute et directe. Mais plus on avance dans l’album plus le chant clair semble prendre de la place et nous plonger dans un blues obscur ( « Dead Eyes » ) et vertigineux ( « The Floor Wins » ), dans le profond désespoir ( « Null And Eternal Void » ), le sentiment d’impuissance et d’abandon ( « Never Payed  Back », « Dirt In Your Mouth » ). 

Enfin, « Born On A Bar Stool » nous traîne dans les nuits brumeuses de San Francisco, dans l’ambiance feutrée d’un club où nos pas sont guidés par les notes d’un saxophone langoureux. Alors que tout se passe pour le mieux, un riff tournoyant et les cris de Brian Ferry viennent nous fracasser le crâne, nous bouffer le cerveau jusqu’à la moelle, arguant un besoin irrépressible d’alcool jusqu’au chorus frissonnant – « I was born on a barstool / I was born with a drink » – bouleversant.

Si « Into Dust » n’est pas l’album de l’année, il en est en tout cas un bon marqueur, témoin d’une époque trouble et du marasme social américain ( que le groupe expérimente tous les jours ). Grâce à son expérience et son talent, -(16)- parvient à y canaliser toute sa colère et son désespoir, à les faire résonner et à les exporter pour mieux nous les faire entendre, et de nos jours c’est déjà prodigieux.

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