Cet été 2022 aura été marqué par le retour en force des festivals, et on peut dire que tous ont été couronnés de succès. Le metal a donc retrouvé, grâce à ses fans et ses acteurs, ses lettres de noblesses. Notre route nous a mené du Hellfest au Motocultor en passant par le Sylak. Tous trois différents, tous trois avec une identité propre et tous trois encore en vie malgré deux années pour le moins compliquées. Pour ma part, je n’avais pas été au Motocultor depuis 2019, dans mes souvenirs cela avait été une édition plaisante, marquée par la bouillasse, mais aussi par la bonne humeur et surtout par une très belle affiche malgré encore et toujours les mêmes problèmes d’organisation. C’est donc « la fleur au fusil » que je me suis rendu à Saint Nolff ( 56 ) prêt à vivre le dernier « gros » festival metal de la saison…
Et cette année, le festival a vu les choses en grand : non pas trois mais quatre scènes pour non pas trois mais quatre jours. Pour ma part, n’ayant pas pu me libérer de certaines obligations, je ne suis arrivé que vendredi matin sur le site. À priori rien ne semble avoir changé depuis ma dernière venue, c’est herbeux, jauni certes, mais bucolique. L’ambiance reste franchouillarde. Tout n’est que bâche plastique et la décoration est inexistante. On va donc pouvoir/devoir se concentrer sur la musique ! Quel bonheur !
Quelques pas entre les chapiteaux m’ont rapidement mené à la zone VIP où je constate que « le peuple des petits fours » a laissé place aux hordes de vestes à patches et la bière pression est toujours la 8.6. Immédiatement, je me sens rassuré. Car si le metal n’est pas mort en 2022 ( ça j’en suis à peu près sûr ), je peux enfin (ré)affirmer qu’il ne vit pas forcément en région parisienne, qu’il n’a pas forcément de compte LinkedIn, qu’il ne bosse pas obligatoirement dans la com’ ou l’infographie, qu’il doit aussi y avoir une frange du public qui ramasse des betteraves dans le Cotentin, qui taille des haies à Châteauroux ou qui manipule du Ba13 en Auvergne. Étonnement, lorsqu’il n’y a que la musique et non plus toutes les distractions proposées par le festival clissonnais, j’ai peine à retrouver les moustaches jaunes et les barbes rêches surmontant une chemise fleurie ou un t-shirt à message, les cosplays grotesques, les Youtubeurs pop-culture ou les CSP+ qui tapent des traces de coke dans les chiottes sèches avec leur pass Navigo… Mystère ؟
Rassurez-vous cependant si vous sentez ici une pointe d’ironie, je ne suis en aucun cas le gardien d’un quelconque temple ( que les dieux ont ont de toute façon déjà fuit ). J’assume le paradoxe, je ne préfère ni tel ou tel festival, j’en note simplement les différences, les aspérités, les ombres et les lumières, je continuerai à faire tous les festivals, mainstream ou plus underground, car ce que j’aime c’est la musique et le metal dans son ensemble. Je crois qu’il y a dans notre société ( celle d’avant comme celle de maintenant et celle du futur ) un sentiment prégnant du « c’était mieux avant » qui avec les réseaux sociaux produit un effet de loupe sur ce phénomène. Mais techniquement, ce n’est qu’un jeu de dupe que nous joue notre mémoire. Par un biais cognitif, nous préférons généralement et voyons de manière positive ce que nous avons déjà expérimenté… rejetant ainsi avec force toute forme de nouveauté ou d’évolution comme quelque chose de négatif ( et cela va grandissant avec l’âge ). Sans être passéiste donc ( ou du moins en étant conscient de l’être plus ou moins, comme tout le monde ), je pense qu’il y a en moi « un effet jogging » ( cher à Régis Debray ) mais appliqué à la culture, soit l’effet rétrograde d’un progrès matériel ou chaque bond en avant dans l’outillage, correspond un bond en arrière dans les mentalités. Par exemple, l’avènement des plate-formes comme Spotify a (re)boosté la vente et la production de vinyls et de K7 audio… Alors oui, je crois que je vieillis et parfois j’ai l’impression que « c’était mieux avant » alors qu’en fait, soyons objectif, ce n’est pas forcément la vérité. Mais laissons-là mes réflexions pour nous plonger dans ce MOTOCULTOR XIII.
Mon premier rendez-vous fût pris avec SVALBARD ( Dave Mustage ), groupe de post-hardcore originaire de Bristol mené par la guitariste et chanteuse Serena Cherry ( également à la tête du très intéressant projet black metal, NOCTULE ). Si les premiers pas sont timides, une fois entré en piste le groupe déploie toute sa puissance avec des guitares hardcore agressives voire presque metal qui succèdent à des passages plus aériens et teintés de mélancolie. Liam Phelan et Serena Cherry se partagent un chant tantôt crié tantôt clair ( les deux se complètent parfaitement ) afin de maximiser l’impact et l’émotion des compositions qui ont pour toile de fond des sujets très politisés et sociaux comme les violences domestiques et le féminisme. C’est plutôt beau et bien fait. Le public en fin connaisseur réagit positivement même si le son a fait des caprices sur les premiers morceaux. Une belle entrée en matière !
Autre bon point, le festival restant à taille humaine, il est aisé de se déplacer entre les scènes et même pendant les concerts. On a d’ailleurs vite fait de se retrouver dans le pit ou devant les barrières si le besoin s’en fait sentir… La suite de la journée nous a emmené sur ce qui doit être ma scène préférée : la Supositor Stage. Non pas que le nom me plaise plus que ça mais son orientation, son côté amphithéâtre, un peu en « goulot », permet à tout le monde de profiter des concerts, les basketteurs comme les lilliputiens. Et c’est avec nos français de SUBLIME CADAVERIC DECOMPOSITION que la journée continue… Toujours rafraichissant, le groupe prend son pied, sourire et goregrind dansant à la clef ! Le public déjà motivé exécute ses premières « rondes » devant un groupe impeccable qui mériterait sûrement qu’on parle plus de lui tant sa longévité et sa qualité sont exemplaires.
Sur la Massey Ferguscène, c’est au tour de nos chouchous de POGO CAR CRASH CONTROL de jouer et on peut dire que le groupe est attendu et crée une sorte de concorde ( comme à peu près partout où il joue ). C’est un concert que personne ne veut louper, peu importe son obédience. Le nom du groupe prêtant à la pratique, c’est un joyeux bordel dans le public dès les premières notes de « Aluminium » et cela va s’accentuer avec le tube « Déprime Hostile » qui finira de mettre le feu à la fosse. Ni vraiment punk, pas vraiment hardcore, ni vraiment metal, ou rock, ou grunge, les Parisiens nous offrent un mélange de tout ça boosté à l’adrénaline venant piocher dans tous leurs albums, faisant le plaisir des fans de longue date comme des plus récents. Il n’en fallait pas plus pour vraiment commencer ce festival : des crissements de guitares, des voix écorchées, de la poussière et de l’euphorie. POGO CAR CRASH CONTROL fait encore une fois un sans-faute devant un public certes conquis mais qui n’a de cesse d’en redemander encore et encore malgré les tournées incessantes du groupe… Chapeau !!
Enfin un tour du côté de la nouvelle et quatrième scène du festival ( la Bruce Dickinscène ) pour aller voir d’autres Français, ceux de SKÁLD !! Souvent considérés, à tort je pense, comme des sous WARDRUNA ou HEILUNG, le groupe a fini par acquérir une petite notoriété dans un milieu néo-folk en constante expansion. À en voir le public massé en cette fin d’après-midi, avec un beau soleil rasant, le groupe réussit à exister et à s’épanouir entre ces deux monstres qui lui ont sûrement servi de modèle. Toujours est-il que SKÁLD, comme ses pairs, crée une atmosphère particulière un mélange de spiritualité, de chamanisme et d’élan épique qui transcende la foule. Ça danse, ça chante dans le public tandis que sur scène les artistes, impliqués, font se mouvoir les légendes à l’aide de cornes, de squelettes, d’incantations mystiques et de percussions efficaces. Quoiqu’en disent les détracteurs, nous, on aime !
Côté chapiteau Massey Ferguscène, c’est THE OCEAN qui sont à la manoeuvre. Bon, j’adore THE OCEAN, vraiment beaucoup, mais en festival ça ne passe pas pour moi ( même si le groupe, comme le public, semble ravi ). Je préfère définitivement l’ambiance que les Allemands arrivent à imprégner à une salle, ce truc unique est très immersif que j’aime dans leurs albums. Bref. Dans la foulée, je file voir KRISIUN qui joue en même temps. N’étant pas trop fan du trio from Brazil, je reste tout de même impressionné par la technique et l’efficacité de leur death sans pitié. À noter que j’y croise les mecs de SUFFOCATION, venus fumer quelques joints en regardant leurs potes jouer. Cool !
Il fait presque nuit lorsque les Dieux du Teutonic Thrash, KREATOR, montent sur scène. Je vais essayer de ne pas radoter ou rebattre les mêmes arguments : le groupe a donné plus ou moins le même concert qu’au Hellfest, le feu en moins, les confetti en plus. Une sorte de maxi best-of où le groupe donne tout, et où le public fait de même. Sur une scène avec des corps empalés ou pendus, la bande à Mille avec le p’tit nouveau Frédéric Leclercq ( LOUDBLAST / ex-DRAGONFORCE ) enchaîne les tubes sans accrocs, de « Violent Revolution » à « Pleasure To Kill ». Des circle-pits à n’en plus pouvoir, des solos dans tous les sens et la voix de Mille Petrozza qui vous transperce de sa hargne légendaire. Le groupe laissera la scène en lambeau… Difficile de passer derrière ça !
Quelques boissons rafraîchissantes plus tard et me voilà devant la Supositor pour les (co)créateurs du slam death : DEVOURMENT. Plutôt rare dans nos contrées, c’est un groupe que j’avais coché depuis un moment sur mon running order. Et je ne vais pas être déçu tant les Américains vont écraser, concasser le Motocultor avec leur son aussi gros que gras et crade, aussi efficace que caverneux. Les guitares sont lourdes, la batterie a un son presque dub et le chant ressemble à un évier qu’on débouche, péniblement. Obtus, buté dans la conception de sa musique faite de roulement permanent et de breakdowns incessants, DEVOURMENT réussit cependant à me captiver ( et je ne suis pas le seul ) par sa capacité à faire danser et vibrer une foule. J’observe le public se pencher d’avant en arrière, rapidement puis plus lentement, sorte de ballet dégingandé et inexorable. Par mimétisme, je fais de même. Magnifique !
J’ai toujours aimé ( peut-être secrètement ) les groupes de power metal. Alors quand le roi du genre ( à l’heure actuelle ) joue, je ne peux m’empêcher d’aller y jeter un oeil. Et en effet, la grand’messe version POWERWOLF est toujours belle, bien maquillée avec de belles lumières et de beaux décors. On y croirait presque. Les Allemands déroulent leurs tubes ultra-précis et puissants dans une ambiance gothico-kitsch et des refrains digne de l’Eurovision. Définitivement, ça marche. Le groupe séduit et ne donne aucun répit à un public incandescent qui reprend tous les titres en choeur. Jouant sur la théâtralité, le chanteur Attila bénit la foule de son encensoir avant de nous finir à grands coups de hits : « Dancing With The Dead », « Demon’s Are A Girl’s Best Friend », « Sanctified With Dynamite », « We Drink Your Blood ». De partout, j’entends les hurlements de la meute venus applaudir leurs maîtres. Décidément, il sera difficile de renverser les puissants de leur trône…
Retour sur la Supositor pour finir cette soirée avec les infatigables New-Yorkais de SUFFOCATION. Véritables légendes, eux aussi ne vont pas hésiter à broyer et concasser la fosse avec un son dantesque et un chanteur, en la personne de Ricky Myers de GORGUTS, à la puissance impressionnante. SUFFOCATION c’est old-school mais ça sonne toujours moderne grâce à des breakdowns que des pads déflagrateurs viennent soutenir. Nos quinquagénaires, malgré les pétards fumés dans l’après-midi, tiennent encore bien la route : torticolis assurés pour les guitaristes. Durant pas loin d’une heure, on ne verra pas le jour, soumis aux coups de boutoir et aux multiples éruptions du groupe. Le pit semble tourner inlassablement sous les assauts répétés des guitares tranchantes et d’une double grosse caisse omniprésente. La bête bouge encore, elle est même plus que vivante vu qu’elle est en train de nous bouffer le cerveau et les tripes. L’ambiance est à la violence dans la fosse, tout le monde gesticule, monte les uns sur les autres pour essayer de s’en sortir, tant est si bien qu’à chaque break on se demande si le groupe peut aller plus loin dans la brutalité. Et vous savez quoi ? Il le peut, et presque à chaque fois il le fait… Suffocant, exténué après un show irréprochable ( peut-être un des meilleurs du week-end ), je m’enveloppe dans la nuit et file vers les lumières du Macumba.
Merci et à demain.
La seconde partie de notre report sera en ligne dans quelques jours….