[ Chronique ] RUSSIAN CIRCLES – Gnosis ( Sargent House )

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RUSSIAN CIRCLES nous a habitué, tout au long de ses sept albums studio, à une diversité de sons, d’ambiances, d’approches. Malgré les limites imposées par sa formation même, le trio instrumental basé à Chicago a toujours su varier les plaisirs, évoluer sur les routes d’un post-rock relativement éthéré où les mélodies et les méditations progressives, qu’elles soient folk, rock ou même noise, ne se font jamais au détriment de la portée live des titres. 

Cependant, cette fois-ci, poussés dans leurs retranchements par une pandémie mondiale, les musiciens ont dû faire face à une situation inédite : repenser leur processus de composition. En effet, les différents confinements ont forcé les membres du groupe à composer chacun de leur côté. Le matériel enregistré était donc conséquent et très varié, un peu à l’image des précédents travaux. Mais certainement pris de fureur face à cette situation ubuesque, le trio a choisi de ne conserver que les titres les plus sombres et les plus lourds, les titres physiquement cathartiques et taillés pour la scène afin de nous offrir son album le plus brut et le plus agressif, le tumultueux « Gnosis ».

« Tupilak » commence par une vibration magmatique, la création d’un être maléfique par l’homme, un monstre en recherche d’une proie. Un mouvement qui se déplace rapidement, aspire la lumière et brûle tout sur son passage, ne laissant qu’une sensation de vide hypnotique derrière lui. Cette sensation finira par s’estomper pour laisser place à « Conduit », direct et brut, rugueux comme jamais, concassant lui aussi mais d’une manière différente. Il emprunte un chemin presque death, ou en tout cas alimenté par l’adrénaline, l’intensité et un sentiment d’urgence qui restera en filigrane tout au long de l’album.

Le titre éponyme part sur des bases plus douces, sa mélodie n’est pas sans rappeler les travaux très spirituels de MY SLEEPING KARMA. Le groupe ondule, nous enveloppe d’une bulle protectrice ( seule la basse reste méfiante, ronflante ) avant de déchirer la toile et de nous écraser sous des couches d’émotions grises. Les cieux s’assombrissent à nouveau. De concert, guitare, basse et batterie portent les coups, se déploient avec force, grondent et tonnent, assomment. « Vlastimil » continue cette irruption sonore sinistre en soufflant un air encore plus noir et vicié. L’intermède « Ó Braonáin » n’est qu’un mirage avant que « Betrayal » ne viennent éveiller Némésis, la violence absolue, l’assaut final, la vengeance du trio après ces années de disette. RUSSIAN CIRCLES semble y jeter ses dernières forces, explosant de rage et de contrition.

Le final « Bloom » contraste en faisant un peu retomber la pression, il canalise enfin ces sentiments obscurs pour retrouver la plénitude. Comme le soleil réparateur qui chasse l’orage, il fait éclore de douces émotions et une sensation de réconfort, comme une lumière au bout d’un tunnel qui laisserait l’auditeur émerveillé par l’immensité et la complexité du monde extérieur.

En raison de l’époque et d’un nouveau processus d’écriture, aidé par une production riche et millimétrée de Kurt Ballou ( CONVERGE ), RUSSIAN CIRCLES crée avec « Gnosis » un album direct, massif, bourré d’assauts métalliques mais pourtant terriblement immersif et guidé par une narration limpide. Un album que l’on vit comme un cataclysme, un phénomène climatique extérieur comme une tempête intérieure, les deux s’amalgamant pour tenter d’exorciser ces deux années de tension et essayer de ne pas (re)tomber dans cette mélancolie qui a ( trop )souvent coloré leurs efforts passés.

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