Playlist Sound Protest de juillet – Canicule.

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Le monde change, ou le monde a changé. Je ne sais plus très bien. Engoncé dans la moiteur de mon canapé suédois, je rêvasse. Caché derrière mes volets roulants où les guêpes, les mouches et divers autres insectes viennent se fracasser, lassés des dattes séchant sur le toit de chaume. Leur petit manège incessant forme une série de son, sorte de picoti permanent qui ressemble aux mélodies d’une machine à écrire. Je cligne des yeux, tentant de sortir de ma torpeur et d’effacer la sueur qui coule sur mes tempes. Sur la petite table de bois en face de moi, les restes d’un bâtonnet glacé côtoient la peau aride d’une banane-bocage : j’ai soif, mais l’eau se fait rare dans les verres à moutarde. 
Je m’étire un instant puis relâche complètement mes muscles. Du bout des doigts, je touche ce visage collant et usé, piqué de reliefs incongrus, tanné par le soleil. Je perçois l’ombre des poches et le creux des sillons, des vallées et des anfractuosités dermiques, comme la cartographie de mes chaos corporels : l’érosion du temps. Dans un soupir, je referme les yeux et m’abandonne totalement à la canicule. Je me prélasse, le corps à demi-nu, étendu telle une panthère lascive et anémiée, la peau tachetée de rosettes issues des interstices persiennes ; zèbres de lumière inondant toute la pièce.
Au dehors la chaleur règne, écrasante. Le chariot d’un Phaéthon brûlant de désir, court inlassablement dans les cieux, rougissant le monde, peinant à freiner ses chevaux pris dans l’élan des flammes. Les Ourses et le Serpent s’échauffent et fondent sous ses rayons, il coupe en oblique dans les airs bouillants devenus ténèbres poisseuses. La mer se contracte, les fleuves s’enfuient, le sol se fendille, la terre est ravagée, en proie aux feux ardents. Atlas souffre à soutenir l’axe incandescent du ciel : tout brûle. L’aurige infortuné finira lui aussi par s’immoler et toutes les larmes des Naïades et des Héliades ne suffiront pas à éteindre les lumières des incendies. Même le sang coulant de leurs branches peinera à maintenir la vie : ici bas, tout ne sera que cendre, lave et fumée. 
Loin sont l’odeur du chlore, de l’herbe fraîchement coupée et la vue de l’azur maritime, tous remplacés par le bleu des écrans derrière lesquels j’essaye d’oublier, de m’oublier, de tromper l’ennui. Je ne rêve presque plus. À peine j’ose suer quelques pensées. Je préfère changer de chaîne avec insouciance et rouvrir allègrement un paquet de glaces. En proie à l’épuisement asymptotique, je ne me plains presque plus, je geins timidement. Derrière les pâles d’un ventilateur bon marché, je regarde ce monde brûler, bercé de panoptiques illusions sociales.

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