Quiconque écoute ou a écouté du metal le sait : MESHUGGAH est une entité unique, jamais imité car inimitable, injouable. De sa démarche à sa technique, le groupe a en trente ans et neuf albums définit les contours d’un style qui lui est propre, a crée un monstre de syncope et de dissonance jamais égalé. MESHUGGAH est aujourd’hui arrivé à un âge où l’on ne se réinvente pas ou plus, où l’on essaye de simplement rester authentique, éventuellement on digresse, on joue sur les détails, même infimes, pour essayer de surprendre, d’agripper et d’attirer. Et c’est exactement ce que font les Suédois sur ce nouvel album, ils explorent et jouent sur les nuances de leur propre style, « ils s’en amusent ». Et pourtant on est loin de rire sur « Immutable »…
Tout d’abord, la fatigue de l’âge et, je crois, les contraintes sanitaires dues à la pandémie ont complètement modifié leur processus de composition et d’enregistrement. Réfutant l’idée d’enregistrer en live comme pour ses derniers efforts, le quintet signe ici un album au son étonnement moins clinique et plus spontané, plus digeste pour l’auditeur tout en gardant une consistance aussi épaisse qu’à l’accoutumée.
Les titres sont viscéraux, flingués d’émotion et de violence. Aux saccades frénétiques et complexes n’apportant qu’amusie et scoliose l’on voit certes de la lourdeur mais compensée avec de l’amplitude et de l’explosivité, ainsi qu’une recherche du groove et des rythmes toujours polymorphes mais presque conformes au carcan métallique classique. L’auditeur ne cherche plus, il a trouvé. L’album, qui doit une bonne partie de sa composition au guitariste Mårten Hagström, se déploie autour de couches de guitares qui viennent s’amonceler sur les rythmes, où la caisse claire se découvre une place qu’on ne lui connaissait pas, pour créer des mélodies subtiles et dévastatrices. La force de cet album réside vraiment dans tous ces micro-détails et dans la capacité des musiciens à nous présenter des titres percutants et écrasants, sublimes et vicieux, mais d’une complexité et d’une sophistication hors-norme.
Les riffs se compilent avec malice et majesté comme sur « Phantoms » et « I Am That Thirst », explosent et se répondent en dissonance sur « Kaleidoscope » et « The Abysmal Eye » ou prennent des chemins plus sinueux comme sur « Ligature Marks ». De même, on ne boude pas son plaisir lorsque Jens Kidman se dévoile en murmures sur la croissante « Broken Cog » ou lorsqu’il aboie frénétiquement comme sur la puissante « God He Sees In Mirrors ». Au rayon des surprises, on trouve les neuf minutes de l’instrumental « They Move Below » et ses relents stoner – sludge que l’on déguste avec un plaisir non dissimulé tant on aime se laisser aspirer par le magnétisme des sons hélicoïdaux, gras, ronds et résonnants de la basse et des guitares de MESHUGGAH.
Sans rien changer ou en changeant que très peu de choses, les Suédois continuent donc de fasciner, d’impressionner et d’écraser la concurrence, si concurrence il y a. S’éloignant de ses expressions les plus mécaniques et le plus froides, le groupe tente de nous montrer un visage un tout petit peu plus humain, peut-être plus inné et instinctif. Ainsi « Immutable » vient s’inscrire dans la ligne du temps de MESHUGGAH, il vient s’ajouter comme un bloc de plus s’empilant sur l’édifice pantagruélique et monolithique qu’il a construit depuis sa création. Il traduit la volonté intacte d’un groupe qui se veut véritablement immuable, colosse d’airain à la puissance incommensurable et inamovible, mais pas immobile.