[ Chronique ] ABSENT IN BODY – Plague God ( Relapse Records )

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Les artistes ayant eu plus de temps que prévu pour développer leur idées, on a au cours de ces deux dernières années vu un bon paquet de collaborations se réaliser enfin. Des projets inattendus ayant parfois pris forme en live, souvent au Roadburn ( cf. Bloodmoon : I ), mais n’ayant jamais eu droit à une sortie physique, palpable, en ont désormais une ; des projets parfois fous, réunissant les meilleurs, des pionniers de genre pour des super-groupes aux allures d’Expendables se dévoilent ainsi au grand jour et pour notre plus grand plaisir. Réunissant pas moins que Scott Kelly de NEUROSIS, Mathieu J. Vandekerckhove & Colin H. Van Eeckhout d’AMENRA, et l’ex-SEPULTURA Iggor Cavalera, ABSENT IN BODY rentre tout fait dans cette catégorie.

Né d’une rencontre, d’une amitié de longue date, et d’une inspiration mutuelle entre les formations belge et américaine, tous deux précurseurs de l’écrasement thoracique sonore, le groupe n’était apparu que sous la forme d’un EP paru en 2017. Discrètement, ABSENT IN BODY a continué de travailler à matérialiser cette entente artistique, cette nervosité et ce sang boueux que partagent les membres du groupe pour aujourd’hui nous offrir un premier album obscur et oppressant, l’instantané d’une société rongée par l’angoisse.

« Plague God » se veut donc aussi dévastateur que sublime, il est l’exacte somme des artistes qui l’ont composé : inévitablement sludge, inévitablement pétri d’atmosphères claustrophobes, oscillant entre violence sourde et fragilité mais plutôt lisible, limpide et simple dans sa structure.

« Rise From Ruins » s’élève des échos et des râles, émerge dans une marée de riffs corrosifs et de vociférations dérangeantes servant un rituel brutal et sans concession qui écrase de tout son poids l’auditeur. Là où « In Spirit In Spite » et « Sarin » s’hybrident, se groovent à la GODFLESH pour nous proposer une autre manière de penser lourd, plus indus’, plus mécanique et froide. D’un riff massif à l ‘autre, il n’y a qu’un pas, et ABSENT IN BODY tout en jouant sur l’agglomération de ses personnalités en crée une nouvelle : plus rituelle, plus électronique et qui semble en dialogue constant avec l’animal, l’humain et la machine grâce à ses voix désincarnées, parlées, chantées.

Le résultat en est très oppressant, désespérant, triste et rageant comme cet arpège mélancolique et ce long monologue parlé sur la fin de « In Spirit In Spite » ; plein de désillusion mais d’une certaine beauté comme  « The Acres/The Ache » ( dont l’intro aurait très bien pu se trouver sur « Roots » ) où le post-rock lumineux s’efface derrière les voix torturées : la fin du rêve et le retour à la réalité, misérable. « The Half Rising Man’s », qui clôt l’album, bourdonne et semble progresser à coups de pierre et de métal, il finit de nous achever, de nous enterrer, nous menaçant et détruisant à peu près tout sur son passage jusqu’à la fin aussi brusque qu’inattendue. À noter la belle partie de batterie de notre ami Iggor Cavalera.

Au fil de ces cinq titres, les rythmiques lentes et répétitives, les émotions n’ont de cesse de progresser, de s’ajouter, de s’emmêler avec différentes intensités et variations pour mieux nous noyer sous une mer de larmes dont le ressac dévore inlassablement les falaises de notre optimisme ; quelques nuances pour une même fin…

« Plague God » semble interroger les limites de l’humanité et la place qu’elle tient ( encore ) dans ce monde. Ni vraiment inhumain, mais plus totalement humain, l’album n’a pas la prétention d’être une réponse ou une solution à l’équation, il semble plutôt perdu, avide de questionnement, dans les limbes de la réflexion, mais continue de s’interroger sur nos ambiguïtés, sur nos ambivalences, sur notre condition, sur notre capacité auto-destructrice, ce qui en fait une oeuvre aussi inquiétante qu’intrigante, et bien sûr cathartique pour nous qui vivons ces périodes de trouble.

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