ZEAL & ARDOR a une histoire plutôt surprenante : parti de rien, d’une discussion, d’un défi lancé sur un forum pour finir avec un « Devil Is Fine » acclamé et des concerts sur les plus grandes scènes, pour finir parcourir une partie du globe à partager au plus grand nombre son étonnante, et presque sérendipiteuse, création. Puis vient le moment de confirmer. Ce que le groupe a largement réussi avec le passionnant « Stranger Fruit » ( 2018 ). Le seul maître à bord Manuel Gagneux semble s’en amuser, autant qu’il prend de plaisir à étaler tout son talent, à bouleverser les moeurs du microcosme black metal et affiliés en y injectant du gospel et du blues avec une facilité et une aisance déconcertante. Aujourd’hui l’Américano-Suisse revient avec un troisième album sobrement baptisé « Zeal & Ardor ».
Lorsqu’on voit surgir dans les bacs un album éponyme, c’est souvent un premier essai, une ré-affirmation d’une identité ou alors une synthèse créative. Manuel Gagneux et son « Zeal & Ardor » semble opter pour la dernière proposition. ZEAL & ARDOR avait sur le véhément et presque méconnaissable « Wake Of A Nation », EP sorti en réaction au meurtre de Georges Floyd, modifié avec malice « le pacifique » crucifix catholique en tonfas policiers comme pour mieux élever la violence sociétale au rang de religion, pour mieux l’institutionnaliser comme partie intégrante de notre époque brutale et ignorante.
Sur ce nouvel album, on retrouve le synchrétisme musical volontaire de Gagneux qui continue de se jouer des formes et des symboles, les transformant et les utilisant pour mieux créer son propre univers, son propre dogme. Plus réfléchi que le réactionnaire « Wake Of A Nation », on arrive ici en terrain presque conquis, au carrefour des styles entre negro spiritual, blues et metal noir, au point où tout se mêle ; au carrefour même où l’esprit vaudou, Papa Legba, aurait joué quelques divines notes à Tommy Johnson pour sceller leur pacte avant de disparaître dans le vent noir du Sud.
Gagneux et sa bande nous offrent quatorze titres aussi inspirés que concis, aucuns ne dépassant les trois – quatre minutes. On connaît désormais les aptitudes musicales de l’artiste mais on reste frappés par ses talents vocaux qui jalonnent l’album. Des terrifiants cris black metal jusqu’aux plus belles mélodies blues-gospel tout est fait avec ingéniosité tant est si bien qu’on ne peut que se laisser bercer par les nombreux changements de rythmes et d’ambiances. Outre les titres que je qualifierais de classique comme « Run », « Golden Liar » ou encore « Feed The Machine », le musicien arrive à nous surprendre en dénichant des sonorités et des riffs inédits. Les saccades et les effets de cassures se réclament nettement du metalcore voire du neo-metal (« Death To The Holy », « Erase », « I Caught You ») et viennent accompagner les changements d’atmosphère sans jamais rompre le mouvement. Au contraire, ils viennent enrichir l’univers déjà abondant, débordant d’idées sans le surcharger. Les enchaînements, si ils ne sont pas fondus, ne donnent jamais l’impression d’un collage désorganisé, balancé à la va-vite pour montrer toujours plus.
Au rayon des nouveautés on notera le magnifique « Emersion » qui mélange abstract hip-hop et black metal onirique, lumineux, presque dansant et positif ; ou encore « Götterdämmerung » librement inspiré par « Le Crépuscule Des Dieux » de Wagner qui nous offre un riff à la DEVILDRIVER contrastant avec l’étrange ballade « All Your Head Low » et tranchant avec la vibration punk-pop entraînante et plus légère de « J-M-B ».
Vous l’aurez compris, sur « Zeal & Ardor » on est alternativement terrifiés, enjoués ou séduits, on tremble, on danse ou on hurle de rage. Il sonne comme la quintessence de ce que Manuel Gagneux nous a proposé jusqu’à maintenant. Il est peut-être son album le plus abouti, la synthèse parfaite de toutes ses influences et un amusement qui s’affranchit de l’idée iconoclaste originelle pour aller vers le plaisir d’innover que ce soit pour l’auditeur comme pour le créateur. Tout se combine, se panache, s’entremêle avec fluidité : rien n’est impossible et à chaque coin du péristyle sonore, derrière chaque colonne se cache une idée que l’artiste met en place et arrive à mener à son terme, en son coeur. Malgré des grands écarts stylistique qui effraieraient JCVD lui-même, ZEAL & ARDOR parvient à ne jamais se noyer, à ne jamais se perdre et à maintenir une homogénéité, une tension permanente que la créativité et la versatilité viennent embellir à la perfection.