[ Chronique ] PENSÉES NOCTURNES – Douce Fange ( Les Acteurs De L’Ombre )

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PENSÉES NOCTURNES est un groupe clairement à part de la scène black metal française, il a toujours suivi sa propre voie, torturée et tortueuse, chaotique. Au départ, c’est un projet solo mené par Léon Hardcore et mêlant tout un tas d’inspirations et d’instruments s’assemblant en un cocktail brutal et déconcertant, aux confins de la musette, du tango, du jazz et évidemment du metal. Mais c’est en 2017 que le groupe entre vraiment dans la danse avec « Grand Guignol Orchestra » ( cf. notre chronique ) et commence à faire parler de lui en foulant les plus grands parquets français pour inonder notre cher hexagone de son cirque guignolesque. Aujourd’hui, entouré de ses musiciens, Léon Hardcore revient avec un septième album baptisé « Douce Fange » qui rend hommage à notre bonne vieille France, idéalisée au XIXème et XXème siècle, avec ses halles visqueuses et insalubres, ses ritournelles d’antan et ses ruelles coupe-gorges, ses Apaches, ses cabarets et ses bistrots, ses banquets à la bonne franquette.

S’éloignant donc des turpitudes circassiennes avec ce nouvel album, PENSÉES NOCTURNES nous entraîne vers la France d’en bas, celle des faubourgs, et vers son folklore. Il propose un portrait javellisé de notre « Douce Fange » à la hauteur d’un « Charles Traînée », étalant sa faculté non pas à se réinventer mais à évoluer et à s’imposer une thématique propre. Il y mêle ainsi passé et présent, avec une batterie puissante et des guitares saturées, acides et lancinantes venant soutenir tout le fatras d’accordéon, de saxophone, de trompette, de clarinette, de trombone, d’orgue et de tuba. Dans une cacophonie organisée, assumée, planifiée pour engendrer le malaise et le dégoût, le rouquin râpeux et aigre est servi à la sauvette, dans un gobelet en plastique, et les cavalcades noires se font peut-être plus en retrait qu’auparavant, laissant place à la musette et aux envolées lyriques d’opérette crasse qu’Offenbach aurait certainement laissé sur le marli poisseux de son assiette, mais que PENSÉES NOCTURNES utilise pour mieux assaisonner sa tambouille, son coquelet noir sauce picrate.

Cette bouillabaisse vaseuse aux ambiances disparates, mais échappant à toutes cuistreries, se sert d’airs classiques ou populaires pour mieux les salir et nous plonger dans son établissement miteux où les vérolés crachent leur variole à qui mieux mieux, où l’alcool colle les godillots au comptoir et attise les brèves paillardes nourries au zinc et au liseré jaune de la cirrhose hépatique. À chaque coup de cuiller, on découvre alors un nouveau riff franchouillard, une nouvelle atrocité, sonnante ou dissonante, aigre ou amère : du célèbre tango de « La Cumparsita » à la valse n°2 de Chostakovitch, aux anguilles de Maïté et ce jusqu’aux échantillons de « C’est arrivé près de chez vous » et j’en passe, tout semble cohérent et dérangeant à la fois, dégénéré. 

Souvent vu comme une sorte de bouffon turbulent, obscène et licencieux, tant il arrive à déglinguer et corrompre tout ce qu’il fait, Léon Harcor, en lâchant son nez rouge, semble se faire plus appliqué mais toujours aussi frivole et cela colle avec la qualité de ses sorties, de plus en plus précises et enthousiasmantes d’un point de vue artistique. Avec « Douce Fange », il nous propose ainsi une nouvelle étape dans les méandres de sa création : sa traversée de Paris. Une balade grotesque et éprouvante qui ne se fait qu’en titubant et en hurlant à tue-tête pour mieux se faire entendre parmi le cloaque grouillant d’ambiances fantasques et où le tintement des bouteilles et les borborygmes acerbes sont légion. Un album très travaillé donc et toujours aussi complexe mais dont le rendu reste nauséabond, abimé par le concept même. PENSÉES NOCTURNES y démontre une nouvelle fois sa capacité à se dépasser, à rester totalement libre et affranchi des conventions, confortant ainsi sa place bien à part sur la scène française. 

 

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