[ Chronique ] AUTHOR & PUNISHER – Krüller ( Relapse Records )

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Tristan Shone, le créateur et l’unique personne derrière AUTHOR & PUNISHER, a depuis ses débuts noué une étroite relation entre design, son et mécanique. S’inspirant de sa carrière d’ingénieur, il a fait de sa musique un moyen d’expérimenter ses connaissances techniques, créant de toutes pièces ses « Drone Machines », illusion d’une alliance parfaite entre l’homme et la machine, un voyage de l’instrumentation traditionnelle vers les machines de précision avec pour objectif de développer son style propre : le doom industriel. Après « Beastland » que j’avais trouvé bon mais que je perçois avec du recul un peu trop dense et assourdissant, AUTHOR & PUNISHER est de retour avec son nouvel album, « Krüller », qui devrait marquer le pas et faire évoluer art et technique en parfaite symbiose.

Grâce ou à cause de la situation sanitaire, Tristan Shone a dû prendre son temps pour réfléchir à sa manière de composer, de penser son art. Il a ainsi pu re-modeler ses sonorités et faire évoluer, re-penser ses machines, les rationaliser pour en tirer le potentiel maximal puisqu’il possède désormais sa propre entreprise de matériel audio et d’architecture de synthétiseurs. On peut donc déjà admettre que « Krüller » est le résultat de cette réflexion forcée.

Sur le plan musical, si l’on retrouve encore et toujours ce rythme monolithique et cette basse synthétique et grasse, l’ensemble se trouve nourri aux claviers et à la guitare. Autre nouveauté, la mélodie et le chant de Shone ne se cachent plus derrière des lasagnes d’effet ou derrière un mur parfois insoutenable de distorsion. AUTHOR & PUNISHER semble vouloir redevenir humain ou du moins introduire plus de clarté, des sentiments et des sensations dans ses machines. La mélodie n’avait jamais été absente de la musique de l’Américain mais trop souvent noyée dans la cacophonie  sidérurgique, dans la réverbération, dans la distorsion parfois à outrance alors que sur « Krüller », tout semble plus contrasté, plus nuancé, plus coloré, plus ouvert en somme.

Preuve en est, l’ingénieur s’est entouré du guitariste d’AS I LAY DYING, Phil Sgrosso, qui assure donc les cordes ( et qui devrait le faire en live ). Mais il faut noter aussi la participation du bassiste Justin Chancellor ( « Centurion » ) et du batteur Danny Carey ( « Misery » ) de TOOL qui viennent apporter des rythmes décalés et des sonorités plus lumineuses. AUTHOR & PUNISHER étend donc largement son univers, ouvre les entrailles de ses circuits imprimés et se pose en véritable compositeur bionique avec des titres bourrés de sons nouveaux ( pour lui ), et d’idées intéressantes à la polychromie assumée. La plongée y est vertigineuse et l’épopée monumentale : la puissance des « Incinerator », « Maiden Star » ou « Krüller » fusionne et cheville à merveille avec un « Blacksmith » à l’ambiance très jungle/breakcore ou à la reprise du tube de PORTISHEAD, « Glorybox », titres auxquels on ne s’attendait pas et qui montrent une toute nouvelle facette de l’artiste.

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De même, sur le plan thématique, Tristan Shone continue d’analyser et d’interroger notre monde, notre manière de vivre et ses déviances via le prisme de la littérature post-apocalyptique notamment. Cette fois-ci, il s’est inspiré de « La Parabole du Semeur » d’Octavia E. Butler qui traite de l’effondrement de notre société dans un futur proche en raison du changement climatique, de l’inégalité croissante des richesses et de la cupidité des entreprises. La jeune héroïne du roman, une afro-américaine de quinze ans, se sert alors de son hyper-empathie pour développer un nouveau système de croyances, qu’elle appelle « Semence de la Terre ». Anticipant un destin funeste pour elle et ses proches, elle se prépare à survivre seule, cherchant à apprendre et à engranger tous savoirs qui pourraient l’aider. Quelques années plus tard, elle finit par fonder sa première communauté qu’elle décidera d’appeler « Espoir ».

D’aucuns évoqueront forcément la comparaison avec les pontes du genre que peuvent être les Reznor et autres Jourgensen, voire l’hommage à peine masqué à une vibration qui fleure bon les années 90’s. Cependant AUTHOR & PUNISHER arrive à les maintenir à distance grâce à sa capacité à tout écraser et à tout ralentir dans une tentative (r)affinée de développer son fameux doom industriel, son sludge hydraulique, son taylorisme sonore parfois aussi épais et froid qu’incandescent. Au final, le contraste qui nourrit l’album en fait ressortir autant l’espoir et la résignation, que la colère et la mélancolie, et toute une foule de sentiments mêlés et parfois confus, synthétiques et organiques, avant tout vivants. Refusant le chaos, Shone désormais plus humain que machine doit plus que jamais rêver de moutons électriques…

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