Tous les ans c’est un peu la même chose, à la même époque : on fait le bilan. Si l’année dernière était une année particulière, on n’a pas vraiment l’impression que 2021 fût si différente. On n’a pas eu droit à beaucoup de spectacles vivants, on a encore vu beaucoup d’annulations, de reports etc. et si on est plein d’espoir et qu’on a cru un temps que le pire était derrière nous, force est de constater que les dernières semaines ne sont pas très rassurantes pour 2022. Les tournées commencent à être reportées une fois de plus et l’on repousse encore et toujours les dates butoirs, priant secrètement pour que l’été soit plus clément.
Malgré une profusion impressionnante de sorties, nous ne sommes toujours pas à l’aise avec l’établissement de classements et de notes tant notre vision s’oppose à la pratique. En effet, nous allons nous paraphraser mais coller une note ou classer des oeuvres d’art, produites par des personnes qui y mettent beaucoup de coeur et beaucoup d’eux-mêmes nous paraît complexe voire impossible. Nous ne sommes pas pour les prix, il n’y a pas de meilleurs, de vainqueurs dans l’art, il y a peut-être des tendances, des coups de coeur, et des chef-d’-oeuvres mais honnêtement : tout est bon à prendre et à décortiquer si on a un tant soit peu le temps et l’envie, la passion.
Cette année, nous avons identifié une vingtaine d’albums que l’on a eu envie de mettre en avant, des albums qui nous ont accompagné tout au long de l’année ou parfois juste quelques heures mais qui nous ont donné du plaisir, nous ont surpris ou ont rendu notre calvaire plus agréable à vivre. Nous n’avons pas la prétention de faire bondir les ventes d’albums ni de créer des tendances mais si cela peut vous aider à garnir l’interstice entre votre carrelage et les branches les plus basses de votre conifère décédé, c’est avec plaisir que nous vous la partageons, en toute subjectivité mais toujours ouverts aux débats car en ces temps obscurs il est bon de répéter que nous choisirons toujours la raison et le dialogue à l’ignorance et au rejet.
On espère maintenant que 2022 sera meilleure que 2021 qui était déjà meilleure que 2020… On espère entrevoir la lumière au bout du tunnel. On remercie et on apporte notre soutien à toutes les orga’ qui se battent à l’année, tous les artistes petits ou grands qui nous font vibrer sans discontinuer et tous les gens qui travaillent de près ou de loin à la culture et à sa promotion. À très vite !!
Nos indispensables :
GOJIRA – Fortitude
GOJIRA, « l’une des institutions metal les plus importantes du siècle » est passé des paroles aux actes : participations à des manifestations anti-Bolsonaro au Brésil, collectes de fonds via un collectif international d’artistes ; ceux que l’on dit « être les prochains METALLICA« sont français, et ont sorti un album à la mesure des attentes : entre des expérimentations plus mélodiques – un dépouillement rugueux et une forme de minimalisme – il reste aussi dur et rempli de cette hargne positive qui transparait de leurs engagements et appels aux changements. Un album portrait du monde de 2021?
MASTODON – Hushed & Grim
La mort, la résilience, la renaissance, sont des thèmes qui ont toujours plané au dessus de la musique de MASTODON. « Hushed & Grim », ce huitième opus canalise les émotions accumulées et endurées suite au décès de leur plus grand fan et ami, Nick John. Ce double album nuancé et expressif, marqué donc par le deuil, explore des pistes inédites et en même nous rassure et nous réconforte grâce à des compositions fortes et cathartiques. Il nous rappelle aussi que le temps est quelque chose de précieux et que la vie est une aventure semée d’embûches et d’embuscades auxquels on se plie inévitablement. Tout ce qu’il y a à aimer chez MASTODON se trouve en fin de compte condensé là.
CONVERGE – Bloodmoon : I
Né d’une collaboration inventée pour le Roadburn, « Bloodmoon : I » a fini par voir le jour cette année sur album. Réunissant CONVERGE, Stephen Brodsky de CAVE IN, Chelsea Wolfe et son collaborateur Ben Chisholm, ce projet était sur le papier très ambitieux et attendu. Le résultat est réussi, même si il n’est pas parfait et qu’il ne le sera sûrement jamais. Il ouvre une nouvelle porte du mythe « convergien », montrant une facette plus sombre du groupe, moins tournée vers l’étiquette hardcore qu’on lui colle trop souvent, tentant par là de s’en extirper, de s’en échapper par le post’ notamment, et par tous les autres moyens finalement. L’apport mystique de la sibylle Chelsea Wolfe y est pour beaucoup, elle se mêle étonnamment bien au côté âpre, tranchant et écorché de CONVERGE en le tempérant de sa grâce, de sa morosité et de son univers obscur. Un album sur lequel on voit CONVERGE ne pas faire du CONVERGE, opérer une mutation octaèdre et devenir autre chose, quelque chose de nouveau, de beau, d’inattendu.
Nos coups de coeurs ( par ordre alphabétique ) :
6:33 – Feary Tales For Strange Lullabies: The Dome
Ce « Feary Tales For Strange Lullabies: The Dome » poursuit l’oeuvre foutraque de 6:33 débutée sept ans plus tôt en proposant une sorte de gloubiboulga stylistique passionnant et inspiré, truffé d’images et de références au cinéma et à la pop-culture ; et tout autant en metal, piochant aussi bien chez Patton que chez Townsend, tout en gardant une patte originale. Avec 6:33 on ne peut pas s’ennuyer, on a pas le temps. Le groupe nous offre ainsi une œuvre jouissive, grenade de couleurs venant éclabousser les sens.
AMYL & THE SNIFFERS – Comfort To Me
AMYL & THE SNIFFERS c’est la nouvelle sensation punk rock en provenance de Melbourne. Sans révolutionner le style, le groupe y apporte toute sa fraîcheur avec des compositions intelligentes, et une chanteuses Amy Taylor à la voix singulière et aux textes bien ciselés. Sur ce deuxième album, le quatuor australien développe une version de lui-même XXL. Tout semble ici plus grand, plus lourd et plus significatif.
ARCHSPIRE – Bleed The Future
ARCHSPIRE avait déjà surpris son monde en 2017 avec « Relentless Mutation », une cavalcade aussi extrême que véloce – une explosion, une accélération permanente et une véritable « mutation » qui s’opérait au fur et à mesure que l’album s’écoulait. Cette étape était déjà une innovation, un nouveau stade atteint par le groupe tant au niveau sonore qu’au niveau technique. ARCHSPIRE a brisé « les barrières de la vitesse » tout en créant des titres mémorables. Il apparait donc évident que les Américains allaient être attendus au tournant cette année avec leur quatrième album, « Bleed the Future ». Mais comment faire quand on a déjà dépassé ses propres limites et les limites que beaucoup n’atteindront jamais ? Comment rester créatif et ne pas tomber dans le tout technique, le trop technique. C’est la question qu’on se pose souvent ici et « Bleed The Future » ne nous a pas donné la réponse mais nous l’a envoyé en pleine face. ARCHSPIRE nous a offert cette année un album « superlatif ».
CANNIBAL CORPSE – Violence Unimagined
Qu’est-ce qui différencie un bon CANNIBAL CORPSE d’un autre CANNIBAL CORPSE ? Sans doute rien d’autre que notre capacité à nous laisser emporter dans un bon disque de death metal comme devant un bon vieux slasher du samedi soir : c’est à dire en acceptant de nous laisser surprendre par l’énième tueur au masque effrayant et à la tronçonneuse vrombissante. Et de fait, malgré le syndrome si typique de ce début de siècle du « c’était mieux avant », George Fisher, Alex Weber, Paul Mazurkiewicz tiennent la dragée haute et relèvent une fois de plus le défi dépeignant la violence de notre monde avec leurs ( gros ) mots, à l’image de cette mère dévorant son enfant : monstrueux, horrifique et empreint d’un symbolisme qui n’aura échappé à personne. En cela les Floridiens ne déçoivent pas, et ne décevront jamais…
CARCASS – Torn Arteries
Après avoir déposé il y a 30 ans, 4 albums pour 4 piliers de genres qu’ils ont, soit créé, soit aidé à se forger, CARCASS revient avec un album lumineux, racé et armé d’un scalpel mieux affuté, et surtout en gérant bien mieux cet héritage lourd à porter. Riche de son expérience, loin d’un revival opportuniste, il se permet même un brin d’expérimentation dans les ambiances parfois orientaliste ou purement heavy rock. Demeurant toujours au-dessus du panier de crabes, « Torn Arteries » aligne de grands moments de bravoure et surtout fait plaisir à une masse fervente de puristes qui savent d’où vient le vrai son death’.
CYNIC – Ascension Codes
À travers les ouragans, les tempêtes et l’acrimonie à la fois personnelle et existentielle, CYNIC continue de nous surprendre, d’avancer, de créer et de rester inspiré. Aujourd’hui, on retrouve Paul Masvidal un peu seul aux commandes, suite aux décès de Sean Reinert et Sean Malone, qui trouve la force d’exister malgré ces lourdes pertes et vient tracer un voyage sonore et spirituel imprégné de couleurs et d’énergies étonnamment positives. On a l’impression qu’il a réussi à dépasser l’étape du choc pour atteindre celle de l’acceptation et de la reconstruction, et ainsi développer, grâce à tout son talent, une quête régénératrice et nécessaire avec un yogi – metal que l’on pourrait presque qualifier de healthy, de purificateur.
DER WEG EINER FREIHEIT – Noktvrn
Pas vraiment conforme à l’idée du black metal que l’on se fait, les Allemands de DER WEG EINER FREIHEIT continuent leur route, de nuit et à leur allure, avec tous les atours et les ornements dont ils ont le secret. Ce nouvel album sonne plus que jamais comme du DER WEG’ : orfévré, organique et authentique. Mais il prend des risques, exécute des mouvements impromptus et jouissifs. Il est pourtant fait du même porphyre, solide, du même metal noir et brillant, comme un phare de réflexion musicale érigé pour nous guider dans ces petits morceaux de nuit que l’on aime tant et qui nous ravissent à chaque écoute.
DVNE – Etemen Ænke
Prêt à exorciser bien de ses démons, DVNE a livré cette année un album où l’on ressent son jeu envoûtant d’équilibriste entre les sonorités doom de PALLBEARER et la puissante mélodique de MASTODON.
EVERGREY- Escape of the Phoenix
Cela fait déjà un quart de siècle qu’EVERGREY parcourt les chemins tortueux du metal progressif, star en son pays ( la Suède ) mais peut-être plus discret chez nous, il reste néanmoins une pierre angulaire du progressif. Ce douzième album ne déroge pas à la règle en proposant le même type de metal : toujours plus mélodique et mélancolique que ses pairs. Mais cette fois-ci, groupe semble s’éloigner du concept pour se tourner vers la sphère plus intime. Cette synergie entre la musique et les paroles rend l’album plus grand que la somme de ses parties, quelque chose qu’EVERGREY a toujours su faire au cours de sa longue carrière, et l’a encore fait sur « Escape Of The Phoenix ».
FAWN LIMBS – Darwin Falls
Sur cet album, on retrouve le goût de FAWN LIMBS pour l’exploration interne de sous-genre musicaux, eux-mêmes tellement underground : mathcore, grindcore, noise, électronique et jazz cosmique avec du sax’ et du spoken-word, le résultat équivaut à l’ îlot musical le plus à part au monde. Cela ressemble de prime abord à un cloaque labyrinthique, à vous maintenant de vous y aventurer et d’y survivre ! C’est Koh-Lanta version 100% core et il n’y a pas de survivants de prévu, vous serez sans doute déjà tous morts à l’atterrissage.
IN MOURNING – The Bleeding Veil
Avec « The Bleeding Veil », IN MOURNING continue d’affiner son mélo-death progressif et s’affirme davantage comme un modèle de cohérence. Dans l’ensemble, il présente une évolution, sinon nécessairement une révolution, du son d’IN MOURNING donnant plus de place aux mélodies fortes et aux mélancolies. La formation suédoise délivre ici un album plus personnel, plus méditatif et introspectif, plus réflectif que progressif. Mais après tout, quoi de plus normal par les temps qui courent ?
LINGUA IGNOTA – SINNER GET READY
Avec « SINNER GET READY », LINGUA IGNOTA frappe un grand coup, réduisant en miette toutes ces traditions avec un grand T et vient nous raconter ce qui se cache sous ces épaisses forêts, patchwork d’érables et de bouleaux aux couleurs si chatoyantes où cabriolent cerfs, ratons et lynx, sur ses montagnes reculées où batifole la toundra ; derrière les barrières blanches que l’on repeint tous les ans aux beaux jours, derrières les prés carrés verts et tondus de près, derrière les églises immaculées en bois bardé, derrière les cols amidonnés et les actions de grâce, derrière les pontes moralisateurs et les voisins sournois aux sourires charitables, sous ce plancher où bat le coeur du vieil homme, innocent ; d’abord faible, puis assourdissant.
PUPIL SLICER – Mirrors
Avec leur premier album, si les Britanniques n’étaient pas vraiment attendus, ils ont su surprendre tout le monde par leurs talents. PUPIL SLICER est un trio de mathcore délivrant une recette peu exploitée tant elle est exigeante : extrême technicité et extrême sensibilité. Vous retrouverez ces deux ingrédients essentiels à l’identité unique du groupe mené par une jeune femme transgenre, talentueuse guitariste et chanteuse, Katie Davies. La jeune femme a de plus confié utiliser la musique comme un moyen de combattre et de dépasser le harcèlement scolaire qu’elle a subi autant de ses professeurs que de ses camarades. En sachant cela, l’émotion contenue dans ces titres prend un tout autre sens.
THE PICTUREBOOKS – The Major Minor Collective
Il y a peu d’albums sortis cette année qui sont traversés par cette ambiance feel-good de part en part. Grâce à sa vision, simple et généreuse de partage, THE PICTUREBOOKS, et son album choral « The Major Minor Collective », fait ressortir le meilleur des musiciens et des auditeurs avec des morceaux-shots, concentrés de rock non-distillé, non filtré, qui appellent autant à l’ivresse du voyage qu’à l’ivresse tout court ou du moins à l’ébriété, qui émoustillent les sens et réveillent en nous les plus beaux instincts road-trip-buddy-movie, qui donnent envie de s’échapper simplement, les cheveux au vent, avec la chaleur rassurante du soleil venant caresser les omoplates et les vents alizés poussant lascivement vers de nouveaux horizons, derrière les rayons verts et mystérieux, vers ce nouveau soleil, plein de promesses et de nouvelles aventures…
THY CATAFALQUE – Vadak
Avec « Vadak », THY CATAFALQUE redevient donc organique, débridé et sauvage dans sa créativité, instinctif mais pointilleux. Avec élégance et tout en évoluant à chacune de ses sorties, il se développe, se remet en question, s’acharne à proposer autre chose. Il me fascine d’autant plus qu’il arrive en quelques morceaux, en quelques phrases musicales à raconter tout un tas d’histoires fantastiques, et à nous transposer dans de vastes prairies, au beau milieu des champs de tournesols qui peuplent les environs du lac Balaton, ou sur les pentes abruptes du Bükk, puis dans le sous-sol moite d’un dancing magyar ou dans l’ambiance feutrée d’un club de Budapest… Magique.
VILDHJARTA – Måsstaden Under Vatten
VILDHJARTA ne compose pas tant de la musique qu’il crée des failles cosmiques à travers le temps et l’espace… Cela faisait trop longtemps que nous n’avions pas eu de leurs nouvelles ( 10 ans ) et pendant longtemps le seul espoir de résurgence était l’étrange publication cryptique sur les réseaux ou des teasers sporadiques et alléchants. Le groupe reste une énigme, laissant parler sa musique toujours aussi créative. À ce titre ce nouvel album incarne parfaitement leur philosophie, leur volonté d’expérimenter et d’amener la musique là où elle n’a jamais été auparavant. Avec des surprises et des idées à chaque tournant, l’album choque et impressionne. Espérons juste qu’il ne faudra pas attendre encore dix ans avant le prochain !
VOLA – Witness
Il aura fallu trois albums à VOLA pour se parachuter à l’avant-garde de la scène prog’ moderne. Si « Witness » reprend les bases de leur son si singulier c’est à dire un savant mélange de metal progressif parfois djent avec de l’électronique et d’incroyables voix pop, il va encore plus loin dans l’expérimentation tout en arrivant à rester cohérent et concis. De notre point de vue, peut-être leur album le plus accrocheur à ce jour.
