Après avoir bataillé entre les multiples reports et les annulations, la tournée d’IGORRR « Spirituality And Distortion part. I » a bien débuté le jeudi 25 novembre. En revanche, exit OTTO VON SCHIRACH et DRUMCORPS, c’est maintenant les Bisontins de HORSKH qui assurent la première partie. Je me suis donc rendu à cette première date à Caen au Big Band Café. Choix étrange pour une première date, la capitale bas-normande n’étant pas un haut lieu de la culture metal, vivotant dans l’ombre de ses grandes soeurs ponantaises que sont Rennes, Nantes voire même Rouen. Toujours est il que la date est alléchante et permettra de remettre le pied à l’étrier, de prendre la température d’un public sûrement assoiffé de spectacle vivant après ces nombreux mois de disette. En parlant de température, on ne peut pas dire que le réchauffement climatique ait déjà atteint le coeur d’un novembre normand : ce soir le thermomètre n’excède pas les dix degrés alors que je pénètre sereinement dans une salle extrêmement ( un peu trop ) clairsemée. Je trouve ça inquiétant et étonnant tant on a été sevré de spectacle durant les deux dernières années.
Bref, je retrouve quelques camarades et m’épanche sur les difficultés de la vie et la joie de se retrouver enfin dans une salle de concert, ce dont on se fout pas mal, le tout accompagné d’un gobelet consigné et d’une bière blonde type Pale lager. Quelques minutes plus tard HORSKH entame son show devant un public épars. Heureusement la puissance du groupe va vite resserrer les rangs, et si on n’est pas très nombreux au départ, le déroulement du concert aura vu la salle se remplir doucement mais sûrement. Mais revenons à nos Doubiens qui, pendant que je laisse courir mes pensées, animent la scène d’une ambiance tout à fait reznorienne, et condensent ce qui se fait de mieux sur la scène metal indus’ : de MINISTRY à KMFDM ou même FRONT LINE ASSEMBLY. Si l’atmosphère se veut froide et tranchante de par les voix et les sonorités indus’, les rythmes appellent plutôt à la danse ou au moins au dodelinement crânien. Les titres s’enchaînent sans pause alors que le trio se déchaîne et semble de plus en plus à l’aise. Le chanteur déambule d’un bout à l’autre de la scène haranguant la foule, l’intimant d’obscurs ordres pour mieux les garder sous le joug de ses pulsations martiales. Côté public, l’accueil est plutôt chaleureux pour un groupe méconnu dans la région, preuve en est que l’alchimie fonctionne, la fosse adhère et le fait ressentir au trio à grands renforts d’applaudissements. Après quarante minute de bons et loyaux services, HORSKH quitte la scène avec la fierté du travail bien accompli, la foule est alors (r)éveillée, prête à « croquer du poulet ».
Une bière qualité supérieure, quelques digressions plus tard et me voilà propulsé devant IGORRR. J’ai commencé à écouter IGORRR il y a déjà pas mal de temps lorsque Gautier Serre, le maître à penser du projet, était encore seul aux manettes et qu’il versait dans un break-core rageur. Puis je l’ai vu évoluer avec l’ajout de deux chanteurs, ensuite un batteur, et maintenant je ne suis même pas surpris de le voir avec un guitariste et lui-même prendre une six cordes à l’occasion. C’est assez dingue de voir que sa mutation ne s’arrête jamais et qu’il sait se réinventer et ne jamais stagner, ne jamais se reposer sur ses acquis.
Le show s’ouvre donc sur « Paranoïd Bulldozer Italiano » et « Spaghetti Forever », des titres issus des deux dernier albums du groupe, respectivement « Spirituality And Distortion » et « Savage Sinusoid », comme la plupart des titres joués ce soir. Rien de plus normal lorsqu’on sait que ces albums ont un aspect plus métallique, plus organique aussi et qui sied parfaitement à ce qu’IGORRR et sa formation souhaitent mettre en place sur scène. Les titres s’enchaînent avec une certaine fluidité, le son est très bon, la batterie tisse sa toile autour des sons électroniques, la guitare parfaitement maîtrisée par Martyn Clement ( HAH ) vient apporter la dose parfaite de metal et de puissance sonore qui manquait peut-être auparavant et qui met en valeur tout le talent de composition de Gautier Serre.
Niveau chant, on sait que l’année passée le groupe s’est séparé de ses deux vocalistes historiques pour des raisons que l’on n’abordera pas, tout simplement parce que cela n’en vaut pas la peine. Du coup, IGORRR a recruté le chanteur de SVART CROWN et DIRTY BLACK SUMMER, Jb Le Bail et la chanteuse lyrique Aphrodite Patoulidou. Et ça marche plutôt bien, si l’alchimie n’est pas encore parfaite entre les deux ( ce qui est normal au vu de la poignée de concert qu’ils ont à leur actif ), techniquement cela fonctionne. Le Bail apporte un côté plus clinique et plus metal, moins fou-fou mais incroyable de maîtrise et de charisme. Aphrodite Patoulidou, quant à elle, incarne parfaitement le personnage, entre folie pure et maestria. Techniquement, elle joue à la perfection ses parties, pas toujours évidentes, elle épouse parfaitement le style IGORRR.
Niveau public, l’accueil est chaleureux, la foule connaissant la plupart des titres se meut en même temps que les acteurs et participe pleinement à l’augmentation hygrométrique des lieux. Scénographiquement, on note également l’évolution du spectacle proposé avec un jeu de lumière très coloré et de jolis décors appuyant un peu plus les changements d’ambiance de la musique, mais aussi des costumes raccords et sobres, renforçant encore un peu plus le sentiment de cohésion qui se dégage de la formation et l’abandon du côté « fouilli fourre-tout » d’avant…
Le jeu de scène y tient également une place plus importante, les chanteurs se mettant en scène dans des attitudes baroques poussant vers le gothique avec notamment des références à Hamlet ou s’enveloppant d’un linceul touarègue pour mieux nous faire entrer dans l’orientalisme nocturne du dernier album, s’enfonçant toujours plus avant, jusqu’aux montagnes tibétaines dont les bols résonnent sur « Hymalaya Massive Ritual ». Après la musette de « Cheval » et le break-core sauvage de « Robert » et « Very Noise », IGORRR quitte finalement la scène sous une salve d’applaudissements bien mérité, laissant tout le monde sur son petit nuage, à mille lieu d’ici, coincé entre les rythmes biscornus et les envolées lyriques, hors du temps.
Avec ce nouveau spectacle, j’ai le sentiment qu’IGORRR est en train de passer dans une autre catégorie et j’en suis ravi. En rentrant, une fois allongé, dans le noir, je me refais le déroulé de cette soirée, perdu dans mes pensées, heureux d’avoir entendu de la musique, de l’avoir vécue. Une nuit que je garderai en mémoire, comme un retour à la vie, comme un retour à la nuit, intense et mystique, et que je me promets de revivre mille et une fois…