Playlist Sound-Protest d’octobre – Trouble Affectif Saisonnier

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Fini les matins roses, place aux matins bleus, aux nuits vaporeuses d’où s’échappent buées et fumées que l’on aime imaginer opiacées, thébaïques pour mieux anesthésier et adoucir le temps qui passe, celui des arbres désormais nus et du trouble affectif saisonnier.
À heures fixes, on entrevoit les laborieux, par dizaines, roulant en procession, pantins croisant d’autres pantins, théâtre de guignol à la vacuité affichée. Leurs globes oculaires avides de lumens, trop acclimatés à l’obscurité, n’osent pas se détourner, n’osent pas regarder ailleurs, et longent le canal aux quais déserts, anachroniques. Triste miroir longiligne, semblable au tranchant de Morta, vision aquafortiste et séduisante des Parques. Pâles et blondes égéries aux lèvres carbones, aux yeux azur ruisselant de larmes noires, métaphore d’une destinée funeste et déjà arrangée.
Sous un ciel sans astres s’étend ici une langue de terre rectiligne se vautrant avec négligence dans l’océan lemniscate. L’archétype de l’ouvrier y trace sa route, de toutes ses forces, avec au loin quelques ferries, paquebots engourdis, et pourtant lumineux, villes flottantes léthargiques. Sur ce segment humide, émaillé de feuilles recroquevillées, faînes et bogues, roseaux rompus, des petits groupes de canards, un lapin et quelques limaces, en noctambules effarés et aveuglés par les lumières faiblardes, rouge urgent ou blanc éclatant, détalent devant cet être courbé : l’automate humanoïde. 
La synergie de la chaîne, des pignons, des muscles et des fibres, entraîne le mouvement des tores dont chaque révolution mécanique l’éloigne un peu plus de son esprit et de sa révolte. La tête dans le guidon, il reste concentré, se refusant à la fiction. Il pédale plus vite, toujours plus vite, plus fort, pour échapper au frimas d’octobre et rejoindre son quotidien, servile et obéissant.
Dans cette course à la relativité, restreinte, il essaie de repousser le temps, ou d’en gagner, de le dilater pour éviter de penser, d’y penser et cesser de voir en lui l’ouvrier moribond, privé d’illusions. Son corps, auparavant si sacré, a muté en boursouflure souffreteuse, prête à éclater, suppurer, se liquéfier ; les rognons lestés à l’éthanol, le foie jauni et la dentition clairsemée, les poumons plumo-goudronnés rendant la respiration compliquée, l’estomac lâche et adipeux, goinfré d’agrochimie. 
Exténué, il force encore et toujours, déchirant ses quadriceps, ses ischio-jambiers, ses mollets pour essayer de refouler la marge, de dépasser sa fonction f de… alors que rien ne l’autorise à sortir de l’équation, à rêver de flâneries infinitésimales et de géométrie irrégulière. 
Asphyxié par les obligations journalières, par les heures, les minutes, les secondes, il voudrait pourtant déguerpir lui aussi, redevenir faune – peut-être penser ursidé pour mieux hiverner – et éviter la dépression saisonnière, cette sensation permanente de strangulation. Il voudrait lui aussi se dérober à l’hiver et à cette fin inéluctable, au sourire des Parques et à l’image de cette grille qui ferme les égouts, rue de la Vieille-Lanterne.

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