[ Chronique ] EMMA RUTH RUNDLE – Engine Of Hell ( Sargent House )

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EMMA RUTH RUNDLE est une artiste complète, capable de jouer, composer, interpréter, capable d’apporter sa patte à un groupe ou de sublimer un projet ou une collaboration. Elle a, au fil de ses sorties, toujours su surprendre et se remettre en question, elle a su évoluer et toujours nous proposer de nouvelles perspectives. En 2018, on était séduit par la force d’un « On Dark Horses » destiné à la scène, destiné à un groupe complet puis en 2020 sa collaboration avec THOU, nous avait montré une facette métallique et plus sombre de sa personnalité. Aujourd’hui, l’artiste américaine revient en solo avec « Engine Of Hell », solitude qu’elle avait abandonnée depuis son tout premier album « Electric Guitar : One » sorti en 2011. 

Vous l’aurez donc compris : rien de complexe ici, hormis les sentiments, les sensations, et l’intimité d’une artiste qui se livre et se met à nu sur les huit titres qui composent l’album. Ayant abandonné tous arrangements, toutes fioritures, il ne subsiste que l’essentiel : sa voix, son piano « austère » ou sa guitare solitaire pour nous guider dans son cheminement introspectif. Pour ajouter à ce côté fragile des compositions, « Engine of Hell » a été enregistré presque entièrement en live, donc avec toutes ces petites imperfections qui nous donnent l’effet d’une confession. On entend les doigts qui courent sur le manche, les respirations, les souffles subtils qui appuient le timbre gracieux de la chanteuse.  De fait chaque note et chaque mot ont un impact maximal et parfois, au casque, on frôle le si séduisant phénomène de « réponse autonome sensorielle culminante » ( ASMR ). 

Ce qui ressort plus largement sur cet album, c’est l’accent que l’artiste a mis sur les textures, sur les voix, les textes et sur le minimalisme des arrangements ainsi que la mise en valeur d’un instrument qu’elle avait depuis longtemps « oublié », le piano, et qui vient lui conférer une aura encore un peu plus fragile, plus humaine et vulnérable, mais fort dans sa portée et dans son engagement artistique et personnel.

Elle nous livre ainsi une collection de souvenirs sans tomber dans la nostalgie saccharine, elle nous fait plutôt visiter ses tréfonds mélancoliques et cryptiques, son « artisanat », parfois plus sa mémoire que sa poétique. Si le titre d’ouverture « Return » ou la délicate « Dancing Man » s’ancrent dans un sentiment relativement positif, des moments plus crus et imprégnés de chagrin comme « Body » ou « Blooms Of Oblivion » viennent contrebalancer l’aspect feutré et très « ballade » des compositions. De mon côté, j’estime que les deux derniers morceaux sont parmi les meilleurs notamment « Citadel » et sa pulsation grunge mais surtout « In My Afterlife », le titre qui donne tout son sens à l’album et qui voit l’Emma actuelle essayer de trouver une forme de rédemption, et se détacher de son passé tout en s’y complaisant.

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La période traversée ces derniers mois, ces dernières années, fût étrange et complexe pour tout le monde : des instants où l’on s’est retrouvé souvent face à soi-même, face à ses souvenirs, ses nostalgies mais aussi ses démons, passés, présents ou futurs. Pour EMMA RUTH RUNDLE, le choix de revenir à quelque chose de plus simple et de plus intimiste, ne semble pas être anodin. Elle a dû et su explorer ses zones grises, vaciller à la limite de la raison parfois, plonger dans ses souvenirs et ses songes dans ce monde vaporeux, souvent flou, toujours imparfait, pour mieux le retranscrire et nous le partager.

Pour conclure, je dirais que l’album sonne un peu comme un testament, un témoignage d’une époque révolue pour EMMA RUTH RUNDLE qui a désormais cessé de ruminer toutes ses pensées en les couchant et les exposant aux yeux de tous. Une fois cette catharsis opérée, une nouvelle ère, un nouveau tournant s’offre à l’artiste et de fait, ces titres font déjà parti de sa guérison, de son passé, même si il peuvent maintenant servir à d’autres ( nous ).

L’écriture minimaliste et l’aspect ouaté, le côté éloge de l’ennui et de l’intériorisation devraient rebuter pas mal de monde et en bouleverser d’autres : ceux qui souffrent, qui sont traumatisés à divers degrés, ceux qui ont besoin de réconfort, de se vautrer dans un océan de spleen assailli de vague à l’âme, ceux qui sont touchés par le langage mélodique simple en apparence mais lourd de sens pour l’artiste comme pour son auditoire.

 

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