Avec son dernier méfait « Finisterre », DER WEG EINER FREIHEIT avait ouvert de nouvelles opportunités, avait continuer « d’améliorer sa perfection » et avait monté d’un cran le niveau musical, artistique et technique en nous proposant une oeuvre aboutie en tout point. Véritable monstre d’adaptation et de sobriété, le quartet de Würzburg nous avait offert un album sublime de beauté noircie, un black metal d’après, moderne, à la production limpide mais sauvage et aux concepts d’apparences simples mais viscéraux, et d’une violence émotionnelle frappante. À l’époque, je comparais l’album à un bon livre, un livre qui nécessitait de prendre son temps afin d’en saisir les nuances et les subtilités, comme un récit dont on s’imprègne et dont les rebondissements se font attendre mais sont terriblement bouleversants… Les Bavarois m’avaient touché en plein coeur et étaient devenu pour moi ( et sûrement pour d’autres ) l’une des références du black moderne, celui qui ne peut s’empêcher de se couvrir de post’ et de taper à la porte d’autres styles, faisant fi des convenances et des conséquences. Évidemment à l’aune de leur nouvel album, je commence maintenant à douter, à trembler un peu et chercher mes mots car si l’attente est grande, la chute peut également être douloureuse.
Ce cinquième album marque donc une nouvelle étape dans la carrière du groupe, une nouvelle recherche de profondeur pour aller encore au-delà du black metal auquel on l’associe bien trop souvent. DER WEG EINER FREIHEIT élargit ici sa palette, ouvre les perspectives sans jamais se renier, ni rejeter sa violence intrinsèque et son côté obscur pour nous emmener sur un terrain en apparence plus « classique » puisque « Noktvrn » se veut un hommage au compositeur Frédéric Chopin et à sa série de morceaux baptisé « Nocturnes ».
Le thème est donc à la nuit et aux rêves, le groupe s’y est tenu afin de ne composer ou d’enregistrer qu’à ces instants là et en faire le point d’ancrage de tout l’album. Pour le reste, n’ayez crainte, il y a tout de même une bonne dose de distorsion métallique, de guitares mordues par le gel, de batterie tonitruante, de cris hallucinés ; autant d’harmonie que de férocité, d’équilibre. On retrouve un DER WEG EINER FREIHEIT expérimentateur et offensif, progressif et avant-gardiste, tout ce qu’on attendait de lui en fait.
Cependant, plus j’écoute l’album plus je me rends compte que l’influence de Chopin et du classique est bien plus que cosmétique. Elle infiltre l’album en profondeur, par touche et avec subtilité comme toujours dans la musique des Allemands mais elle est bien présente. Le black metal de DER WEG EINER FREIHEIT souvent intense et convulsif se mâtine d’arpèges et de mélodies, boucles romantiques rappelant la solitude des nuits purpurines et des crépuscules violacés. Je découvre alors un nouveau tome, je rouvre ce bon livre plein de nuances et de subtilités.
S’inscrivant dans une continuité, l’ouverture « Finisterre II » se joue en acoustique avant que la rage insomniaque, étouffante et progressive de « Monument » et de « Am Rande Der Dunkelheit » nous fassent entrer de plein pied dans l’album et retrouver le procédé D.W.E.F., cette lente et interminable agonie qui puise dans nombres de genre, post’, folk, shoegaze, etc. pour arriver à ses fins, c’est à dire nous pousser toujours plus en avant dans une nuit profonde, réfléchie et réflexive.
« Immortal » vient ensuite complètement bouleverser et briser le rythme effréné du début avec son introduction presque trip-hop, sa pulsation lente et la voix de Dávid Makó de l’excellent projet THE DEVIL’S TRADE. Il nous montre un nouvel aspect du groupe, quelque chose d’inhabituel, de biscornu, qui semble nous emmener aux portes du subconscient, dans les ondes lentes du sommeil. Mi-éveillé, mi-endormi, langoureux, il nous plonge dans le monde des rêves, celui qui se confond parfois avec la réalité, qui n’en est jamais totalement éloigné. Enfin, le black metal dur et profond de « Morgen » et les mélodies plus post’ de « Gegen Das Licht » nous offrent les lumières bleues et pâles de l’aube, puis plus claires encore avec la superbe « Haven » qui inaugure le chant clair et en anglais de Nikita Kamprad.
Pas vraiment conforme à l’idée du black metal que l’on se fait, les Allemands continuent donc leur route, de nuit et à leur allure, avec tous les atours et les ornements dont ils ont le secret. Ce nouvel album de DER WEG EINER FREIHEIT sonne donc plus que jamais comme du DER WEG’ : orfèvré, organique et authentique. Mais il prend des risques, exécute des mouvements impromptus et jouissifs. Il est pourtant fait du même porphyre, solide, du même metal noir et brillant, comme un phare de réflexion musicale érigé pour nous guider dans ces petits morceaux de nuit que l’on aime tant et qui nous ravissent à chaque écoute.