[ Chronique ] CONVERGE – Bloodmoon : I ( Epitaph Records )

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Décidément, le Roadburn est un festival surprenant avec une programmation qui d’année en année, force le respect. Il est précurseur sur beaucoup de point et bien souvent même incubateur et instigateur, en proposant des projets, véritables aventures, aux groupes qu’il invite. C’est d’ailleurs comme ça qu’est né « Bloodmoon : I », ce  nouvel opus de CONVERGE qui nous intéresse aujourd’hui.

Mais avant d’attaquer l’oeuvre, rappelons en un peu sa genèse… Les légendaires CONVERGE, habitués du festival, se voient régulièrement promu à l’affiche du festival. En 2016, le groupe s’est même vu attribuer deux sets, un pour le classique « Jane Doe » et l’autre, un peu comme une carte blanche, conçu autour de titres plus étranges, plus lents, plus obscurs. Ceux qui traînaient dans les tréfonds de leur discographie. Pour pimenter la chose, les Américains y avaient convié Steve Von Till de NEUROSIS, Stephen Brodsky de CAVE IN, Chelsea Wolfe et son collaborateur Ben Chisholm. L’histoire aurait pu s’arrêter à ce concert mais l’alchimie sur scène, et certainement en dehors, fut telle que les différents protagonistes ont décidé de prolonger l’expérience, en studio cette fois ci. Après plusieurs années de tergiversations, de temporalité conflictuelle, et de pandémie, le groupe de Salem a réussi à mener le projet à son terme et nous proposer donc son premier album. Un album attendu par les fans, comme par la critique, qui voit presque ce fameux line-up au complet, ne manquant à l’appel que Steve Von Till.

Maintenant, ce qui m’étonne c’est d’avoir sorti ce projet sous le nom de CONVERGE tant il est différent de ce à quoi le groupe nous a habitué, et en même temps cela tombe sous le sens puisque CONVERGE a toujours été un groupe libre et créatif, et que l’étiquette ne lui sied guère. Toujours est il que sur « Blood Moon : I », le groupe semble se lâcher et jouer vraiment le jeu de la composition, de la création à plusieurs, évitant soigneusement les pièges de l’album choral, truffé d’invités, mais sans âme ou sans finalité. On le comprend dès l’introduction et ce long morceau éponyme où tous les acteurs se mêlent avec subtilité, inventivité et peut-être même une petite dose de fragilité, d’instabilité contrôlée. Les voix de Chelsea Wolfe et de Jacob Bannon s’affichent en clair ou en cri, se superposant, s’opposant ou se réunissant. Quelques claviers lugubres parsèment un enchevêtrement de guitares inventif, offrant une succession d’univers à l’intensité croissante, jusqu’à l’éruption finale.

Sur la suite, chacun semble apporter sa patte pour mieux nourrir les autres. Les ambiances se succèdent, mettant en avant les différents protagonistes ou les réunissant dans une étrange symbiose. Pour le coup, très séduit par l’introduction, je trouve que l’association n’est pas totalement aboutie sur la longueur mais qu’elle est un bon commencement. J’aime la mise en valeur de la voix hantée et détachée de Chelsea Wolfe sur la funeste ballade folk « Scorpion’s Sting » mais j’apprécie d’autant plus lorsqu’elle sort des sentiers battus et vient appuyer la puissance de Bannon et la force de frappe de CONVERGE. Bannon sort aussi un peu de ses retranchements en proposant un chant clair très travaillé et varié, même si il s’y essaye déjà régulièrement au sein de son projet WEAR YOUR WOUNDS. Pour le reste, on retrouve les guitares de Brodsky et de Ballou, et la basse ronflante de Newton dans un véritable charivari funambulesque de styles imbriqués les uns dans les autres formant un tout plutôt agréable : du mathcore avec « Tongues Playing Dead », du hardcore avec « Viscera Of Men », du post-rock avec « Failure Forever », du sludge bien trempé avec « Flower Moon ».

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il n’y a pas grand chose à jeter, voire rien car ce jeu de paradigme ne tourne jamais à l’affrontement de style ou à la dichotomie. Tout est relativement bien proportionné, bien équilibré, et très varié. L’album jongle habilement avec les dynamiques et les ambiances, et si un des artistes est mis en avant c’est pour mieux jouer sur les textures, les aspérités, et ainsi nous donner à voir toutes les capacités et les possibilités de cette collaboration. 

Mes morceaux préférés restent donc ceux où la collaboration ressort le plus, où l’on entraperçoit le cheminement et la voie à suivre, à explorer, la convergence des compétences qui créera ( je l’espère ) un « Bloodmoon : II », peut-être encore plus abouti. L’exemple parfait est « Coil », qui débute avec de jolis arpèges avant de se mouvoir en bête sombre et gothique, aux relents symphoniques, jusqu’à se mêler crescendo à un rock aux sonorités métalliques et aux voix haut-perchées…

Bref, le projet initial était ambitieux, et le résultat est réussi, même si il n’est pas parfait et qu’il ne le sera sûrement jamais. Il ouvre une nouvelle porte du mythe « convergien », montrant une facette plus sombre du groupe, moins tournée vers l’étiquette hardcore qu’on lui colle trop souvent, tentant par là de s’en extirper, de s’en échapper par le post’ notamment, et par tous les autres moyens finalement. L’apport mystique de la sibylle Chelsea Wolfe y est pour beaucoup, elle se mêle étonnamment bien au côté âpre, tranchant et écorché de CONVERGE en le tempérant de sa grâce, de sa morosité et de son univers obscur. Un album que je conseillerai donc au fan du groupe et aux autres, amateurs de musique au sens large, car sur « Bloodmoon : I », on passe par tous les états et on voit CONVERGE ne pas faire du CONVERGE, opérer une mutation octaèdre et devenir autre chose, quelque chose de nouveau, de beau, d’inattendu.

 

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