[ Chronique ] MASTODON – Hushed And Grim ( Warner Music )

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La mort, la résilience, la renaissance, sont des thèmes qui ont toujours plané au dessus de la musique de MASTODON. Ce sont même les éléments clés des différentes créations du groupe, on peut à ce titre les considérer comme un levier, une cause et un besoin pour le groupe de se dépasser à chaque fois. Alors que « Emperor Of Sand » traitait du cancer et de différentes maladies auxquels les Américains avaient dû faire face durant l’écriture, ce nouvel opus canalise les émotions accumulées et endurées suite au décès de leur plus grand fan et ami, Nick John en septembre 2018. Nick était devenu leur manager après l’album « Leviathan » et il a largement contribué à l’ascension du groupe, à le faire devenir ce qu’il est aujourd’hui.  Le vide ressenti par cette perte a amené MASTODON à donner le meilleur de lui-même pour produire « Hushed & Grim », un double album nuancé et expressif, marqué donc par le deuil.

Pour autant, vu la longueur, il ne tombe pas dans l’album conceptuel à la « Crack The Skye », chose que le groupe a abandonné depuis longtemps, privilégiant l’écriture unitaire plutôt que la fresque sonore, il garde néanmoins ici un même sentiment qui traverse l’album de part en part, un peu comme sur « Emperor Of Sand ». « Hushed & Grim » continue sur cette belle lancée tout en complexifiant le résultat, en le parant de moult arabesques, parfois rugueuses et rageuses, parfois plus mélodiques, psychédéliques ou mélancoliques.

L’album s’articule clairement autour des guitares de Brent Hinds et des rythmiques toujours très techniques de Brann Dailor. MASTODON vient alors multiplier les dynamiques, étalant ses techniques sans en faire de trop non plus, passant du riff testostéroné à des mélodies plus cathartiques ou plus pop’ jusqu’à des envolées psychédéliques et des soli épiques que l’on n’avait plus entendu depuis longtemps. L’opus fait ainsi autant la part belle aux titres plutôt courts et directs comme « The Crux » ou « Pushing The Tide », armés de riffs acérés et mordants, vestige d’un temps révolu où le groupe se laissait aller à hurler sur des sentiers plus râpeux et limailleux, qui viennent contraster « Sickle & Peace » et ses arpèges sournois ou « The Beast » et sa veine blues-country, ou même encore le tube « Teardrinker » avec son refrain imparable et son solo de basse fuzzy-wah.

Mais au fur et à mesure des titres, j’ai l’impression que l’on s’éloigne du MASTODON dit classique, celui qu’on aime et qu’on ne connaît que trop bien, pour s’enfoncer dans les herbes hautes et touffues de la création artistique, on se taille un chemin dans la densité et la complexité du cheminement créatif des Américains. La deuxième partie de « Hushed & Grim » vient achever de conférer à l’album une ambiance mystique et une esthétique certes sombre mais également lysergique et rédemptrice, nous entrainant toujours plus loin dans les méandres de nos propres réflexions sur la douleur et le deuil, sur le chagrin etc.

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Le basculement se fait à partir de « Peace & Tranquility » qui vient embrasser les influences progressives et seventies du groupe, tout comme « Gobblers Of Dregs » par ailleurs. Les sonorités orientales de « Dagger »  ( avec une petite mélodie que n’aurait pas renié KING GIZZARD & THE LIZARD WIZARD ) ou l’onirisme d’un « Eyes Of Serpents » enfoncent  le clou, toujours plus loin jusqu’à l’apothéose et un magnifique « Gigantum » vu comme une véritable coda.

Après plusieurs écoutes attentives, j’en ressors quelques enseignements. Tout d’abord, MASTODON a définitivement trouvé un équilibre entre ses trois différents vocalistes. Chacun ayant un rôle bien distinct, capable de compléter, d’enrichir et d’enluminer les autres. La plus grosse progression vient de Troy Sanders, capable désormais d’utiliser sa voix de baryton éraillé sur des morceaux plus mélodiques, la rendant plus soyeuse et suave tout en conservant son aspect puissant ( « Had It Hall » ou « More Than I Could » ). Il s’opère alors une formidable alchimie avec le timbre clair, limpide et haut perché de Brann Dailor et les accents plus bluesy – osbournesque – de Hinds, qui n’a pas sur cet album un grand rôle vocal mais qui assure tout de même les choeurs et quelques parties bien trempées. D’un autre côté, tout son talent guitaristique est plus que jamais mis en avant dans la profusion des leads où il arrive à nous faire passer une foule de sentiments dans une avalanche de notes, de solos groovy et de mélodies qui dégoulinent et s’infiltrent définitivement en nous.

On sent que MASTODON a mis ici beaucoup de lui, beaucoup de sentiments et beaucoup d’idées qu’il a poussé relativement loin, il a exploré et pris quelques risques que j’imagine calculés tant ils collent parfaitement à l’âme du groupe. Si « Hushed & Grim » est né du chagrin et du souvenir, la meilleure façon de trouver du réconfort, de la paix et de guérir s’est bien de créer cet album et de le partager avec le plus grand nombre. À travers cette nouvelle création, MASTODON vient aussi nous rappeler que le temps est quelque chose de précieux et que derrière les artistes il y a aussi des êtres humains et des amitiés fidèles. Pour l’auditeur, c’est encore une nouvelle aventure, semée d’embûches et d’embuscades auxquels on se plie avec toujours autant de plaisir. Tout ce qu’il y a aimer chez MASTODON se trouve en fin de compte condensé là.

Pour ma part, le groupe m’impressionne par son authenticité, par sa longévité et sa stabilité. Je me dis que c’est définitivement un groupe de confiance, un groupe dans lequel je peux avoir des attentes et qu’elles seront bien souvent comblées, un groupe auquel je peux me lier et m’identifier car il restera fidèle à ce qu’il est et à la musique avec un grand M. Je crois qu’il ne me trahira pas car il ne se trahira pas, qu’il n’abandonnera personne et qu’il me/nous rendra hommage à chaque fois qu’il le pourra. À l’image de son amitié indéfectible pour Nick John, il est et reste reconnaissant, il n’oublie jamais d’où il vient ni pourquoi il est là. Et en 2021, on peut dire que c’est plutôt rare.

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