J’ai passé pas mal de temps cette année à regarder en arrière, à interroger mes goûts et mes influences, à essayer de retrouver l’état d’esprit dans lequel j’étais à l’époque où j’écoutais tel ou tel groupe. Sachez que j’étais plutôt fan de CRADLE OF FILTH étant jeune, tout comme je n’ai jamais caché mon amour pour DIMMU BORGIR et toute cette frange du black symphonique européen de la fin des 90’s. Je les déguste d’ailleurs toujours comme des petits bonbons, cruels à mes yeux car devenu un peu kitsch, un peu (dé)passés, mais pour lesquels j’ai une certaine tendresse. En revanche, là où j’ai continué de suivre la carrière d’un DIMMU BORGIR, et là où j’ai élevé « Cruelty And The Beast » de CRADLE OF FILTH au rang de mes influences, malgré quelques incursions sur le pic commercial et populaire qu’a été leur « Nymphetamine » ( 2004 ), j’avoue m’être arrêté pour les Britanniques à leur « Midian », soit en 2000.
Vingt ans après, je me suis donc décidé à me replonger dans ce nouveau CRADLE OF FILTH, « Existence Is Futile », dont le titre emplit déjà mon coeur de souvenirs et de nostalgie…
Soyons lucide, Le groupe, qui fête ses trente ans d’existence, a toujours été l’objet de débats, à tort ou à raison, au sein de la scène metal. Souvent targué de donner dans le black metal mainstream et d’avoir contribué à sa ( trop grande ) popularisation. Il faut tout de même se rendre compte de ce qu’a fait CRADLE OF FILTH. Déjà, encore en 2021, il reste une entité totalement identifiée, et identifiable que ce soit par l’image comme par le son. Niché au fin fond de son comté de Witch dans le Suffolk, le groupe a contribué, dès ses premiers albums, à créer un son et une imagerie qui a défini une grosse partie de ce qui sortait en metal extrême symphonique à la fin des 90’s. De par sa volonté et sa créativité, et tout en ne changeant pas de ligne directrice, c’est à dire proposer un black metal baigné d’influence gothique et d’une imagerie un peu série B, « spandex, faux sang et fard blanc », type nosferato-occulto-horrifique, qui ne semble pas trop se prendre au sérieux, le groupe mené par son chanteur Dani Filth a traversé ces trois dernières décennies faisant fi des critiques, des tumultes et des épreuves ( notamment les changements de line-up incessant ) avec pour seul objectif de continuer de faire vivre et grandir C.O.F. Rien que pour ça, on se doit de les respecter.
Cela étant dit, j’ai écouté « Existence Is Futile ». Et je ne me suis pas senti perdu le moins du monde. Je retrouve tout mon CRADLE d’antan, avec ses mêmes atours et ses mêmes effets de manche. Un peu comme si le groupe durant la pandémie et les quarantaines s’était recentré et avait décidé de remettre au goût du jour ce qui avait fait son succès, une sorte de condensé de ce qu’il a fait de mieux, quelque chose de toujours très théâtral, avec de l’emphase, mais avec une fluidité et une facilité que j’imagine due à l’expérience. Le groupe a semble-t-il voulu aller à l’essentiel, ne laissant que peu de répit à l’auditeur et pourtant qui le tient en haleine grâce à des chorus et des riffs accrocheurs. Les Anglais nous régalent de quelques tubes entraînants, fastueux et grandiloquents, ( « Crawling King Chaos », « Necromantic Fantaisies », « Us, Dark, Invincible » ) où les guitares épiques, très N.W.O.B.H.M., côtoient les nappes orchestrales, les voix féminines épiques et les feulements de Dani, crissements filthiens que l’on aime ou que l’on déteste mais qui sont définitivement l’empreinte indélébile du groupe. Si certains titres flirtent trop vers la ballade kitsch larmoyante romantico-gothique comme « Discourse Between A Man And His Soul », il me plait d’y retrouver une certaine forme de narration – on me raconte une histoire cruelle mais séduisante – comme le faisait les/mes classiques « Cruelty And The Beast » et « Midian ».
Loin des clichés du passé et des problèmes de son inhérent à un style compliqué à sonoriser, « Existence Is Futile » est soutenu par une production puissante, massive et dense. De la batterie à la guitare, jusqu’aux arrangements et aux voix, tout est en place, aussi intense et véloce que « sirupeux » et plus « moelleux » lorsqu’il le faut, et vient accrocher l’oreille et l’esprit à ces mélodies envoûtantes et ces histoires sombres.
Comme son titre l’indique, l’album est en effet une réflexion sur l’existentialisme, la terreur existentielle et la peur de l’inconnu. Sur le papier, je trouve le concept philosophiquement intéressant, même s’il s’éloigne « des petits contes horrifiques » que j’affectionnais particulièrement auparavant, il marque surtout une nouvelle étape dans l’évolution du groupe puisqu’il le sort un peu de ses cauchemars hématiques et autophages pour le raccrocher un peu à notre réalité. Le morceau « Suffer Our Dominion », qui voit d’ailleurs le retour de Doug Bradley, l’acteur de Hellraiser ( entendu sur « Midian » ), en narrateur, vient nous livrer une diatribe sur le réchauffement climatique et la vengeance de Mère Nature contre l’Humanité…
Je trouve intéressant et inattendu que CRADLE OF FILTH aborde un thème aussi politique et actuel que le changement climatique et l’inévitable destruction de la vie sur Terre, même si il le fait à sa manière, avec ses armes, et par le prisme d’une horreur cosmique et tout à fait lovecraftienne. Le morceau rappelle le matériel plus récent de CATTLE DECAPITATION, à la fois en termes de ton et de sujet, tout en conservant une symphonie et une sensibilité mélodique propre, ce qui en fait un des titres les plus intéressants de l’album.
Je tenais également à poser quelques mots sur la pochette signée de l’artiste Arthur Berzinsh, qui avait apparemment déjà travaillé sur « Cryptoriana » et « Hammer Of The Witches », et qui réalise ici un magnifique artwork tiré d’un détail du panneau droit ou l’Enfer musical du Jardin Des Délices de Jérôme Bosch peint au XVIème siècle ( un de mes tableaux préférés ). L’image est une ré-interprétation du « Prince de l’Enfer » dans un style plus moderne, rougeoyant et stylisé. On espère juste que Belzebuth ne twittera dans les prochains jours : « Hey Crade Of Filth, c’est le Prince de l’Enfer. On peut parler ? ».
Pour conclure, je dirais que j’ai trouvé cet « Existence Is Futile » efficace et délicieux, suffisamment féroce pour assouvir mes attentes et surtout je peux dire qu’il a su nourrir ma nostalgie, mon moi adolescent. En un mot, c’est une réussite.