Interview avec BENIGHTED « Les musiciens français ont enfin une identité »

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BENIGHTED ce nom vous est forcément familier. Gros nom de la scène metal française extrême, qui aujourd’hui s’exporte à l’international et nous vend du rêve avec des disques de qualité où l’horreur psychologique se côtoie à un grindcore bien plus raffiné que l’on ne pense.

C’est le très sympathique leader et chanteur Julien Truchan qui nous a accordé un peu de son temps avant de monter sur la scène de la mythique salle du Rockstore de Montpellier (un ancien couvent converti en antre du rock depuis les années 90′). La prestation des Stéphanois ouvre le bal pour le festival EX TENEBRIS LUX organisé par l’association WHAT THE FEST dont la prochaine date de sa programmation devra aussi faire des éclats avec DVNE et DELUGE (détails ici).


 Vos 3 derniers albums forment un formidable triptyque depuis 2014 – une grosse montée en qualité que tu expliquerais comment ? 

Il y a eu un changement de line-up qui a beaucoup compté dans le vie du groupe entre les albums Carnival Sublime et Necrobreed. Il a engendré un gros break, puis Manu (Emmanuel Dalle) est arrivé en tant que guitariste et est devenu le compositeur principal. Il a capté tout de suite l’essence de la musique que l’on voulait faire dans Benighted et il se l’est appropriée et nous a fait monter un palier en terme de technique et d’ambiances bien dégueulasses qui viennent enrichir notre musique. Notre musique est devenue bien plus horrifique, et on évolue d’album en album en poussant l’accent sur soit les parties dérangeantes soit notre côté hardcore parce qu’on est fait pour le live et ce style est un des éléments clés pour foutre le bordel sur scène. On travaille vraiment l’identité de chaque album avec certaines de nos influences un peu plus poussées. Et Manu est juste un compositeur de génie et il nous a amené à un niveau bien supérieur. On a en plus maintenant Kevin Paradis à la batterie qui est juste monstrueux donc j’ai une machine de guerre derrière moi avec des musiciens extrêmement talentueux.

 

Les changements de line-up de Benighted vous ont mis en péril ?

Oui, on a eu deux départs à l’époque de Carnival Sublime et on avait dû annuler une tournée avec ORIGIN, HEILUNG et ABORTED. Ils sont partis juste après le HELLFEST 2014, je l’avais très mal vécu à l’époque, comme une trahison. A chaque période, la cohésion du groupe tient à un compositeur principal qu’il faut trouver. On était passé de Liem N’Guyen (1998-2012) à Adrien (Guérin 2012- 2014) jusqu’à aujourd’hui Manu qui compose tout.

 

 Cela fait 20 ans que vous existez…Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts ?

On a commencé en 1998, cela fait 23 ans qu’on existe, et tout a changé. J’ai connu l’époque où pour faire connaître ta musique fallait aller à la poste tous les jours envoyer des démos, des courriers aux radios, aux associations et aux labels. Tu passais ta vie à la poste et t’avais mal à la main à force d’écrire car il n’y avait pas encore les mails. Internet a beaucoup aidé à la promotion des groupes, mais après il y a du bon et du moins bon dans le fait qu’un groupe de qualité, il lui faut un plan marketing en béton sinon il ne sera jamais connu. Il faut mieux être un groupe qui fait le buzz avec une musique moyenne qu’un très bon groupe qui ne sera pas mis en avant, car sans cela, il ne pourra pas exploser. Aujourd’hui cela fonctionne vraiment comme ça : ceux que l’on va voir sur internet, ce sont ceux qui font le buzz.

« Je ne veux pas que BENIGHTED devienne une prostituée d’internet. » – Julien Truchan

Vous êtes chez Season of Mist depuis 2011…Est-ce suffisant pour exploser à l’international ?

Ils nous ont toujours très bien travaillé. On a nos idées de notre côté et eux aussi. Je passe énormément de temps à la promotion du groupe en dehors de mon travail à temps plein d’infirmier et ma vie de famille. Je ne veux pas en faire plus, je ne veux pas qu’on nous voit absolument partout sur internet, je ne veux pas que Benighted devienne une prostituée d’internet.

On a nos fans, si les gens nous découvrent tant mieux mais mon but n’est absolument pas d’en vivre. Je ne vais aller vers des choses qui ne sont pas ma culture comme les live stream par exemple qui ont fait beaucoup de débats dans les groupes. Pour moi, il en est hors de question. S’il y a des groupes qui pour survivre sont obligés de passer par ça parce qu’ils n’ont aucun autre revenu, je peux comprendre. Benighted est un groupe de scène, qui est là pour l’échange avec le public dans la fosse. Nous, on fait des clips pour expliquer le concept, pour que les gens puissent voir visuellement ce qui se passe dans les textes. Mais filmer un concert de Benighted dans une salle vide et faire payer 10 € pour regarder, ce n’est pas ma culture. On m’a commenté que j’avais été un peu fort à ce sujet car dans un magazine j’avais dit que le live stream, c’est un peu l’équivalent du porno pour ceux qui ne peuvent pas avoir de relations sexuelles.

C’est sympa pour dépanner mais il ne faut pas que cela les remplace car c’est quand même dommage, non ? (rire). J’entends dire que le live stream, c’est l’avenir, mais si c’est l’avenir, je n’en veux pas, la musique se vit en live. C’est un moment que tu emportes dans ta tête, avec les gens que tu as vu à cette soirée. La vie, ce sont des moments vécus, pas des choses que tu collectionnes chez toi.

 

« Le live stream, c’est un peu l’équivalent du porno pour ceux qui ne peuvent pas avoir de relations sexuelles »
– Julien Truchan –

 Comment vous composez ces concepts d’albums hallucinés ?

Je ne suis pas musicien par contre j’ai beaucoup d’idées et je participe beaucoup à la composition avec des arrangements. Manu a des idées de musiciens, moi j’ai des idées anti musicales (sourire). Manu me dit qu’il ne peut avoir les mêmes idées que moi, car il est trop musicien dans l’âme. Des fois, il me dit « mais cela ne marchera pas », puis on essaye et souvent ça fonctionne et ainsi on trouve un équilibre surprenant et faire qu’aucuns albums ne se ressemblent.

Je suis grand fan de death metal, mais si j’écoute un album complet en me disant que le chant assure, tous les musiciens déchirent, par contre si j’ai écouté 40 minutes et que je ne sais pas quand ça commence et quand cela finit, je n’ai rien retenu du coup, cela me fait chier. Je ne veux surtout pas ça dans Benighted. On fait vraiment des chansons, des morceaux accessibles qui rentrent dans la tête. Quand le public chante les refrains avec moi, je suis heureux comme tout.

Comment avez-vous eu toutes ces stars en invités sur vos albums ?

On tourne tellement que l’on rencontre plein de musiciens. Quand tu restes un mois dans un tour bus avec des mecs, il y a des amitiés qui se créent. Naturellement à la fin d’une tournée, tu l’invites à chanter sur le prochain album. C’est comme ça que Karsten « Jagger » de DISBELIEF que je connais depuis des années est venu chanter sur notre album.

Pour Jamey Jasta d’HATEBREED, cela s’est fait de manière différente. Je l’avais rencontré une fois, je ne sais pas s’il savait qui j’étais, par contre j’avais entendu dire que dans un de ces podcast il avait parlé de BENIGHTED. Pour le morceau « Implore the Negative », on voulait un chant hardcore et Jamey, c’était le top de ce que l’on voulait. Il tourne souvent avec DYING FETUS et NAPALM DEATH, donc on s’est dit qu’il doit aimer le metal extrême. Je suis passé par le label qui était à l’époque NUCLEAR BLAST. Mon contact du label m’a dit  « J’adore Benighted, j’aimerais trop que cette collaboration se fasse. Par contre, Jamey, c’est un des gars les plus occupés que je connaisse, il se peut qu’il ne réponde même pas à ton mail ». 15 jours après, je recevais un mail du label me disant que Jamey était partant. Je fais énormément de guest pour d’autres groupes et vu que cela prend du temps, j’aime que l’on me dise précisément ce qu’on attend.  Je lui ai envoyé mon chant pour qu’il enregistre sa partie aux Etats-Unis, et il m’a renvoyé les siennes ; en une semaine c’était bouclé. Alors que juste au moment où j’ai reçu sa partie, je me disais qu’il allait me dire que « finalement je n’ai pas le temps… »

 

« Les français ont enfin une identité » – Julien Truchan

Vous êtes avec IGORRR un des groupes qui explosent à l’international…Les français se réveillent-ils enfin ?

Oui on marche bien à l’international. Maintenant les français ont enfin une identité. On a souffert pendant des années de ne pas être pris au sérieux en tant que français, on se contentait d’avoir des groupes qui sortaient une copie d’un album qui marchait bien aux U.S. On entendait, c’est les MORGOTH français etc. Il y avait une certaine absence de style. GOJIRA bien sûr, SVART CROWN, KRONOS, GOROD ont amené une fraîcheur et une identité. Quand on tourne désormais on nous demande si on est français, on nous prend pour des américains. C’est dur à porter d’être français dans la scène internationale, et cela change maintenant parce que GOJIRA a ouvert grand les portes de la crédibilité du metal français, mais il y avait du travail à faire…

 

D’ailleurs, à l’international, tu es le miroir de SVEN d’ABORTED

Oui complètement, Sven, c’est comme mon frère. On a collaboré 3 ou 4 fois ensemble. Je passe le weekend prochain chez lui d’ailleurs. On vit la même chose.

 

Quels grands changements dans le prochain BENIGHTED après l’apport du Black, du Jazz, du Hardcore vont nous surprendre ?

On prépare un album qui sortira en 2023. On mettra l’accent sur le Hardcore et on va essayer de travailler plus encore le côté « chanson » pour que les morceaux aient encore plus d’identité. Le parfait mélange entre la brutalité extrême et quelque chose d’intelligible et qu’on est envie de le réécouter tout de suite derrière. Le but, ce n’est pas de simplifier les morceaux mais au contraire, au travers d’une plus grande qualité technique des musiciens dans le groupe et de ce que moi je peux apporter, on va encore développer l’accessibilité.

« Le parfait mélange entre la brutalité extrême et quelque chose d’intelligible »

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