[ Chronique ] NADJA – Luminous Rot ( Southern Lord )

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Des groupes prolifiques, on en connaît, de toutes sortes et de tous styles, et NADJA fait partie de ceux-là. Il est typiquement un projet sonore non-identifié, capable de tout, de sortir album sur album, de créer des concepts originaux, des collaborations en veux-tu en voilà, jamais en panne d’inspiration. Actifs depuis 2005, le duo a tout de même déjà sorti pas moins de 27 albums studios et au moins autant de splits/collaborations !

Pour vous la faire courte, NADJA se compose du multi-instrumentiste Aidan Baker et de la bassiste Leah Buckareff, originaires de Toronto mais émigrés à Berlin depuis une bonne dizaine d’année, et verse dans une musique dense aux sonorités métalliques et aux textures saturées – noisy, mais plutôt tournée vers l’ambient, le shoegaze, concentrant son travail et son volume sur les atmosphères chaotiques pour mieux nous asséner une sorte de style valise qu’on pourrait aisément appeler dreamsludge. Toujours est-il que le groupe revient cette année avec un nouvel opus baptisé « Luminous Rot » dont je vais humblement essayer de vous parler…

Sur ce nouvel album, le duo conserve ce qui fait sa force : un son puissant et ambiant, une distorsion et une résonance qui prennent au corps. Mais contrairement à d’habitude, il nous propose cette fois-ci des structures plus courtes reflétant son intérêt pour le métal, le post-punk, la cold wave et l’indus’. Si l’on retrouve du GODFLESH ( « Luminous Rot » ) ou du MINISTRY ( « Dark Inclusions » ) dans les rythmes mécaniques, presque lointains c’est pour mieux se laisser envahir par les riffs et leurs mélodies lentes et grésillantes qui nous ramènent parfois tout près des débuts de SONIC YOUTH et consorts ( « Fruited Bodies » ). Le duo semble ici vouloir se faire rencontrer ses expérimentations présentes avec ses amours primales, réminiscences impalpables. Évidemment dans la volonté qu’à NADJA de déconstruire, ou tout du moins de décortiquer puis de s’approprier, tout est ralenti et étiré au maximum pour en ressortir l’essence. Tout est chamboulé comme si on avait ingéré une quantité astronomique de space cakes.

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Sur le plan thématique, l’album explore les idées de « premier contact » et les difficultés de reconnaissance de l’intelligence extra-terrestre. Cela a été en partie inspiré par la lecture d’écrivains tels que Stanislaw Lem et Liu Cixin en particulier, les théories sur l’astrophysique, la multi-dimensionnalité et la géométrie spatiale de Margaret Wertheim ou sur le travail de la mathématicienne Daina Taimina sur la géométrie hyperbolique.

Et cela donne encore une autre saveur à l’album, une sorte de réflexion très méta’ sur nos perceptions. Là-dessus, je trouve que les voix jouent bien leur rôle, entre cri et chant, parfois superposées, parfois fantomatiques. Elles courent derrière nous, virevoltent lentement, se cachent, chimères, dans les limbes distordues pour mieux réapparaitre plus loin, comme une vague venant déformer notre espace et nos perceptions.

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Même si parfois ils sont difficilement cernables, voire même inaccessible pour beaucoup, j’aime encore et toujours, et je ne cesserai jamais de parler, de ces groupes qui arrivent à allier à la fois minimalisme et complexité, qui intellectualisent leur art tout en conservant l’aspect sensoriel de leur oeuvre. Ce que réussit parfaitement NADJA ici en nous proposant une nouvelle dimension, une oasis de distorsion dont lui seul a le secret. Un refuge sonore qui se veut ni chaud, ni froid, ni rassurant, ni repoussant, sorte de monstre oxymoronique : une « pourriture lumineuse » brillante et vibrante, colorée dans son groove, mais glaciale dans sa rythmique, immersive dans sa distorsion et subtile dans son bourdonnement…

 

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