[ Chronique ] BIG | BRAVE – Vital ( Southern Lord Records )

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Dans cette période de doute, de désespoir ou d’espoir, où l’on ne sait plus trop vers qui ou quoi se tourner pour retrouver la flamme, la liberté que l’on chérit tant, je n’ai pas pu bouder mon plaisir de tomber sur le nouvel album de BIG | BRAVE, véritable bouffée d’air frais doom, drone, et assimilés. Déjà bien connu des spécialistes pour leur son se démarquant du troupeau et pour leur musique très personnelle et pleine d’urgence, faite de résonance, de symbole, d’ambivalence, entre puissance et clarté, notamment grâce à la voix bouleversante et passionnée de Robin Wattie, le trio canadien présente ici son cinquième long métrage : « Vital ». Un album intense ne faisant pas exception au reste de la carrière du groupe, un album qui amène un nouveau débat, des idées, des réflexions. Un album une fois de plus profond, qui vient gratter le verni de nos perceptions et de notre société.

Les morceaux ou le morceau suivant la manière dont on perçoit ce nouvel opus ( pour ma part je le vois plus comme un seul et même bloc ), bref disons que l’album se veut précis, avec un rythme implacable, vital, et une tension palpable. Le groupe, plus soudé que jamais, y propose une oeuvre lancinante et hautement cathartique laissant beaucoup de place au silence et à la friture sonore, sevrant l’auditeur d’explosions ferreuses ou en tout cas s’en détournant le plus possible pour en maximiser l’impact. Les titres sont servis par un son aussi limpide qu’encrassé, laissant bien apparaître les strates et les nervures, pour que passe autant les vibrations que le message. BIG | BRAVE frappe par son ambivalence : minimaliste et ample, fragile et solide à la fois. Le rythme presque binaire vous emporte, les saturations monolithiques vous bercent, vous hantent, alors que la voix vous transperce et vous touche au plus profond.

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Au delà de la musique, « Vital » questionne et explore la notion d’identité, « le poids de la race et du genre », les changements de comportement, les conséquences sur la psyché, sur le quotidien, sur la réalité qu’endurent les personnes touchées par ces questions. Sans jamais entrer dans le prosélytisme politique ou dans la leçon, le trio se place en témoin, parle de ses souffrances et son expérience, et agit donc à l’instinct, sur le plan intime.

À titre d’exemple, le segment « Half Breed » mit en image ici, consiste en un seul plan, et peut être lu comme la représentation des dommages qu’une force extérieure peut engendrer sur quelqu’un ou quelque chose sans jamais avoir à supporter aucune responsabilité ou conséquence. La musique y est dure, instinctive et écrasante. La seule action de la vidéo est un corps que l’on recouvre de terre, que l’on salit, que l’on cherche à enterrer. Dans une vision élargie, il peut s’agir d’une sorte de manière de discréditer ou de discriminer un individu. De plus, le coupable, hors-champ, est anonyme, la victime est quant à elle visible aux yeux de tous et l’auditeur en est témoin, conscient mais inapte et incapable de faire quoi que ce soit.

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Cette frustration est un ressenti qui parcourt l’album : parfois résigné, parfois en colère, on sent presque les larmes monter, faire pressions sous les paupières brûlantes, puis couler lentement sur les joues, avant de sécher, d’être absorbées et de nourrir la peau, et chaque fibre de l’être, pour mieux les ressortir en vibrations, en sons, en bruits, en cris, encore et toujours. Les mots sont martelés, répétés inlassablement. S’accrochant aux vibrations des instruments, ils palpitent dans les veines, courent, tourbillonnent, tâchent et marquent la peau, saturent ce sang qui amène tant de questionnement, de rejet ou d’inquiétude.

Avec « Vital », les Canadiens livrent une oeuvre aussi physique que mentale, réussissant à trouver la justesse et l’équilibre entre engagement et intérêt musical, entre affliction et indignation. À ce titre, l’album peut paraître dur à écouter tant il est lourd de sens et écrasant mais il a le mérite d’ouvrir la voix et de décharger peut-être un peu les victimes. Tout en ne perdant pas de vue la base : la musique, le son peut ici agir comme pansement, comme un exutoire, comme une libération ( chose dont on entend beaucoup parler en ce moment ) et qui pourrait rimer avec un début si ce n’est de guérison du moins de compréhension, ou de réconciliation. Dans tous les cas, cet album peut faire relativiser et pousser à la réflexion sur nos actions passées et présentes ou nos agissements quotidiens, sur la manière dont on peut blesser quelqu’un et la souffrance que cela peut engendrer à long terme… En deux mots : vital, vibrant.

 

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