Playlist Sound Protest de novembre – ravage.

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Novembre se meurt, écarlate, au son du tocsin. Notre monde est en train de brûler, de se déchirer dans les affres politico-sanitaires, de s’entre-déchirer, sous le regard amusé d’une violence étatique devenue presque banale. Novembre se meurt, obscure et noire, à en souhaiter une catastrophe, un accident purificateur, un cataclysme naturel, un ravage si bien imaginé par Barjavel :

 

« Boulevard des Italiens, un garde national porteur d’un pli se hâtait. Il rasait les murs pour éviter le vent et le soleil. Il s’arrêta un court instant à l’abri d’une porte cochère. Il alluma une cigarette. Il était en service et en tenue « sous les armes ». Il n’aurait pas dû fumer. C’était contraire au règlement. Mais au milieu du bouleversement, une si petite entorse à la règle n’avait vraiment plus d’importance.

Devant lui, un ruban continu d’autos abandonnées barrait chaque piste du boulevard. Les voitures se touchaient. Par cinq ou six de front, d’un bout à l’autre de Paris, de l’est à l’ouest, de Versailles à Vincennes, elles devaient se suivre ainsi, sans un hiatus.

Le vent faisait claquer quelques portières restées ouvertes, comme les portes d’une maison vide. Des pillards, malgré la chaleur atroce, malgré la tornade, se glissaient par-ci, par-là, entre les autos, secouaient les portières, les ouvraient quand ils pouvaient, soulevaient les coussins, les tapis, à la recherche de quelque objet précieux abandonné. De temps en temps, le bruit d’une dispute s’élevait.

Le garde national avait presque terminé sa cigarette. Il décida de continuer sa route. Il lui fallait traverser le boulevard torride. Il soupira et partit, se faufila rapidement entre les voitures. Une puissante odeur de carburant le prit à la gorge. Il toussa et jeta son mégot.

Une flamme jaillit, dans un bruit de drap qui claque au vent. Le garde tourna trois fois sur lui-même et s’écroula en grésillant entre quatre autos qui flambaient. Ce fut la fin de sa mission. Le vent se mit à jouer avec les flammes. Il les tordait, les couchait, les arrachait comme des fleurs et les jetait en l’air. Les réservoirs des voitures voisines éclatèrent en grandes gerbes, semèrent le feu dansant à cinquante mètres à la ronde. Vers l’est et vers l’ouest, la flamme courut d’une auto à l’autre. La quintessence flambante coulait sur la chaussée. Des ruisseaux de feu tombaient dans les égouts.

Des rouges chevelures crépitantes se couchèrent dans le vent, vinrent caresser les portes des boutiques qui se tordirent, les vitrines qui sautèrent. Tout le côté du boulevard pris feu, et le vent poussa la flamme vers le nord. En même temps, elle se propageait de voiture à voiture vers l’est et l’ouest. La place de la Concorde ne fut bientôt plus qu’un brasier de mille autos. Toutes les flammes se joignaient en une seule flamme que le vent aplatissait brusquement sur les pâtés de maison où elle restait accrochée.

Des flammes rugissantes s’engouffraient dans les couloirs, montaient d’un seul coup jusqu’aux combles, faisaient sauter les poutres, surgissaient, triomphantes, à travers les toitures, et bondissaient sur les toits voisins qui les recevaient en craquant.

Une multitude fuyait dans les rues, hurlait, fuyait vers le nord, fuyait devant l’enfer. Il n’y avait plus de respect, plus d’amour, plus de famille. Chacun courait pour sa peau. Les boutiquiers avaient laissé l’argent dans les tiroirs, les mères abandonnaient les bébés dans les berceaux. Tous ceux qui pouvaient courir couraient sous le vent qui apportait des fumées et des odeurs de rôti. Et des incendies s’allumaient partout. Les fuyards avaient beau courir, se crever le coeur et les poumons, ils voyaient tout à coup, au-dessus de leurs têtes, dans une tornade de fumée noire, passer une immense lueur rouge. Elle les attendait au carrefour. Ils cherchaient des voies détournées, se heurtaient partout au feu, reculaient, cherchaient ailleurs, hurlaient à Dieu.

Des foules crurent trouver un abri dans les squares, sur les pelouses. Elles y furent cernées par le feu, cuites de loin, desséchées et fumées…

Seul un autre fléau, quelque déluge, eût été capable d’éteindre cette mer de feu… »

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