[ Chronique ] DÉLUGE – Ægo Templo ( Metal Blade Records )

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Cinq ans après la sortie de « Æther », son premier album, les discrets et secrets membres de DÉLUGE sont de retour avec un nouvel album baptisé « Ægo Templo ». Un retour plutôt attendu pour un groupe singulier dans l’univers du black/post-black français, puisqu’au final il est affilié à une scène qui ne lui sied guère, et de laquelle il se distingue aujourd’hui, tant musicalement que visuellement. Signé à la base sur Les Acteurs de l’Ombre, c’est d’ailleurs peut-être là qu’a commencé cet étrange amalgame et c’est peut-être avec ce nouvel album, sortant cette fois-ci chez le géant Metal Blade Records, qu’il va s’arrêter. En effet, avec cet opus, longuement réfléchi et travaillé, le groupe affirme définitivement son style, plus accessible et lorgnant nettement vers tout ce qui est post’ plutôt que vers un black metal pur et dur ( et ce n’est pas plus mal ainsi ), tout en gardant l’essence mélancolique qui fait tout le sel de son oeuvre. 

Toujours mené par le guitariste François-Thibaut Hordé, DÉLUGE crée ici une musique puissante et mélodique, aussi dense qu’aérée, avec de nombreux changements de rythmes et de belles alternances entre voix claires et hurlements ( pour la plupart dans la langue de Molière ). S’appuyant sur un son à la hauteur de ses prétentions, le groupe s’éloigne clairement de la destinée « trve », « vntrve » ou de je ne sais quelle autre chose qu’on a bien voulu lui prêter, sans pour autant négliger complètement son ambivalence ou sa noirceur. Il propose ainsi une oeuvre profonde, bercée par le roulis d’un océan d’émotions, toutes plus fortes les unes que les autres.

Attention tout de même car qui dit facilité d’écoute ne dit pas pour autant fadeur ou platitude, la musique de DÉLUGE reste complexe et extrêmement riche. Si les voix claires qui parsèment les dix titres ne sont jamais mises en avant ou couvertes d’effets larmoyants, elles sont plus souvent doublées, associées à des hurlements ou des chœurs toujours adéquats. À ce titre, La participation d’Hélène Muesser sur « Abysses », « Ægo Templo » et « Digue » vient encore enrichir émotionnellement l’expérience et rend les fractures moins dissonantes, plus gracieuses. Tout comme l’intervention en chanté-parlé de Tetsuya Fukagawa des légendaires ENVY sur « Gloire Au Silence » et celle de Matthieu Metzger au saxophone sur « Opprobre » amènent encore un peu plus de profondeur et de symbolique.

On retrouve également tout un schème aquatico-maritime, des textures en fil rouge, du crachin à la mer démontée, qui accompagnent les différents mouvements du navire DÉLUGE. La brutalité surgit souvent sans crier gare, mouvante et avec une célérité digne des grandes marées. Au détour d’un silence, d’une fine pluie de notes, d’une traversée en territoire post-rock ou post-metal, la puissance d’un blast-beat, d’un riff dissonant vient écraser avec fracas et énergie l’auditeur qui, même si il se sent prêt, se fait surprendre par la virulence et le tranchant des vagues de distorsion. Des titres comme le monolithique « Abysses », le pesant « Ægo Templo » ou le redoutable « Digue » illustrent parfaitement ce propos.

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Pour finir, les textes signés du chanteur Maxime Febvet vont également plus loin que sur « Æther ». En grande partie en français, ils s’attaquent à nous, à nos deuils, à nos trahisons, à nos actions et nous questionnent sur le moyen de devenir une meilleure personne ou du moins une personne en quête d’accomplissement. Une remise en question bien éloignée des préoccupations du black metal… non ?

« Ægo Templo » sonne, pour moi, comme une affirmation d’un DÉLUGE libre, faisant presque passer son premier album pour un brouillon. Le groupe passe ici un nouveau pallier et gravit lentement les marches qui mènent à la quintessence. Il arrive, à sa manière, à mettre du noir dans l’azur, dans une houle d’émotions qui s’abat et fracasse les âmes. Il continue d’assombrir le bleu des vagues mais laisse l’écume cristalline des voix et des mélodies éroder les falaises de la psyché. Et ça, on aime.

 

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