[ Chronique ] EMMA RUTH RUNDLE & THOU – May Our Chambers Be Full ( Sacred Bones Records )

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Sur le ring ce soir, à ma droite, dans le premier coin, j’ai nommé THOU. Un groupe de sludge plutôt rustre que je ne sais plus trop par quel bout prendre. Je parlais récemment des artistes extrêmement prolifiques et hyper-actifs lors d’un article sur le dernier SUMAC. Et il est vrai que j’avais, à ce moment là, totalement omis que sur l’échelle de Turner, THOU explose tous les compteurs… Les Louisianais ont tendance à sortir en moyenne deux albums par an, que ce soit des collaborations, des splits, des covers, tout y passe. À tel point qu’on s’y perdrait presque.

À ma gauche, dans l’autre coin, EMMA RUTH RUNDLE, artiste accomplie, émotive, torturée, plus discrète sur ses sorties mais d’une qualité et d’une sincérité que beaucoup peuvent lui envier. Bon, on ne se cache plus ici de notre amour pour l’artiste dont son dernier album en date, « On Dark Horses », continue de tourner en boucle alors qu’il est sorti il y a bientôt trois ans ( chose rare pour nous ).

Mais aujourd’hui, ce n’est pas un combat mais bien une collaboration, j’oserai même parler d’union sacrée. Après de nombreux shows communs dont quelques uns au fameux Roadburn. « May Our Chambers Be Full » est le premier opus enregistré par les deux entités. Si musicalement parlant on ne peut affirmer une proximité flagrante, THOU versant dans le sludge doom alors qu’EMMA RUTH RUNDLE passe de l’americana, à la folk pour aller jusqu’au post-rock, c’est avant tout d’un amour inné et réciproque qu’est née cette rencontre que je peux qualifier d’exceptionnel au sens strict du terme.

 

Un amour partagé certainement dû à leurs parcours respectifs aux frontières de plusieurs styles, de leurs influences allant du punk DIY au grunge et à l’alt-rock des années 90 à qui ils rendent largement hommage ici, tout en conservant intacts leurs fortes identités et marques de fabrique artistiques. Je n’oublie pas non plus les origines géographiques communes : un Sud des États-Unis, tiraillé entre tradition et revers économique, entre la boue épaisse et le limon fertile de la vallée du Mississippi.

Ces deux mondes distincts stylistiquement séparés mais pas forcément opposés, voire poreux, finissent par s’adapter l’un à l’autre et se meuvent donc en une nouvelle entité. Une nouvelle esthétique, sombre et mélancolique, et dont une ombre grunge vient éclairer la route, naît alors que l’on navigue sur les eaux tumultueuses du plus grand fleuve américain. Ce qui est crée avec « May Our Chambers Be Full » est un album riche de la somme de toutes ses identités et influences, quelque chose de simple, de naturel, d’instinctif, d’incroyablement vivant et revanchard.

L’alliance y est presque parfaite, idyllique par moment. La combinaison peut atteindre des sommets de grâce lorsque les groupes jouent de concert, s’améliorant l’un l’autre. EMMA RUTH RUNDLE, avec toute sa mélodie subtile et sa voix obsédante, vient se poser en Iphigénie, sacrificiée mais salvatrice, soufflant les lourdes voiles d’un THOU empêtré dans les flots écrasants de son sludge et la bourbe de ses riffs pour mieux les extirper, les grandir, les enlacer solidement et les ramener sur des rivages originels plus paisibles.

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Je vais tout de même modérer mon propos car au fil des écoutes, quelques petites choses me gênent. Je trouve notamment qu’ils n’ont peut-être pas été assez loin dans l’expérience collaborative, que THOU prend tout de même beaucoup de place ici et j’en viens donc à me poser la question de savoir qu’elle en a été l’implication réelle de EMMA RUTH RUNDLE. L’album n’étant pas très long ( une quarantaine de minutes tout au plus ), l’atmosphère bouillonnante reste bien présente et certains titres semblent vraiment jouer le jeu de l’équilibre et de la transcendance ( « Magickal Cost », « The Valley » par exemple qui sont de véritables pépites ) alors que d’autres me paraissent plus convenus, moins inspirés au sens contributif du terme. Mais après tout, c’est un peu le principe d’une collaboration : on ne sait pas trop qui a fait quoi. Toujours est-il que le mariage me semble à certains moments un peu déséquilibré ( « Killing Floor », « Monolith » ). Reste à savoir si ce n’est qu’un projet unique ou le début d’une série, car avec THOU on n’est jamais vraiment à l’abri…

D’un autre côté, il est difficile de lutter contre la marée et contre le plaisir que j’ai à voir les deux réunis sur un album. Je retrouve indéniablement ce côté viscéral, cette passion bouillonnante qui définit bien les deux artistes. Je me dis aussi que là où EMMA RUTH RUNDLE peut peiner à transmettre ses versants plus agressifs et brutaux dans ses autres projets, ressort ici et transpire grâce à l’apport très métallique de ses amis de THOU. La bête crée est donc différente, puissante mais peut-être un peu boiteuse, ce qui ne gâche en rien le plaisir de l’écouter.

 

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