Je me fais souvent charrier pour mon amour des musiques sortant de l’ordinaire. J’en ai plus ou moins l’habitude. Déjà, j’écoute du metal donc immédiatement je suis catégorisé comme : chevelu, bas du front qui ne jure donc QUE par la musique amplifiée, qui ne parle QUE du Hellfest, qui pue des pieds et qui boit de la bière en beuglant « Apéroooo » ( cette vision globale serait-elle étriquée ? ). Pourtant, il existe bel et bien une myriade de sous-genres, de sous-sous genres et même avec mes collègues amateurs de musiques extrêmes, il m’arrive bien souvent de me retrouver à défendre des groupes avant-gardistes ou expérimentaux, aimés ou honnis pour ce qu’ils font tant ils dénotent et vont parfois à l’encontre de ce que le fan souhaite entendre et donc de la définition même du metal.
Parmi ces formations, quelques unes s’en détachent et l’une des meilleures à mes yeux ( cela tombe bien ) est le sujet de cet article : ORANSSI PAZUZU. Un nom aussi étrange que drôle à prononcer me direz-vous et pourtant les Finlandais sont devenus incontournables dans leur domaine : le metal sombre et psychédélique, le « metal hors-piste ». Quatre ans après le choc « Värähtelijä », et à peine un an après le très marquant WASTE OF SPACE ORCHESTRA, performance chaotique type « space opera » créée pour le Roadburn Festival en compagnie de leurs compatriotes DARK BUDDHA RISING, le groupe revient donc avec un nouvel album s’éloignant un peu des saturations passées et épuisées jusqu’à la corde pour nous emmener plus loin dans les hallucinations et les songes angoissants dont on espère, jusqu’au bout, se réveiller indemne.
Moins brut que son prédécesseur, « Mestarin Kynsi » se veut plus insidieux et séducteur mais tout aussi dangereux, il repose avant tout sur des synthétiseurs envoûtants, et sur une basse ronflante, primale. Niveau production, on est d’ailleurs dans la clarté, dans le lisible, dans quelque chose de « confortable » et de luxuriant, chaque instrument étant à sa place et venant apporter son mouvement à la densité de l’oeuvre. ORANSSI PAZUZU se meut, fait progresser sa musique, semble agir en fonction d’un coefficient de marée sonore unique et emprunté à la musique électronique : des structures souvent répétitives, des pulsations de vie amenée par le couple basse-batterie, des mélodies synthétiques dissonantes et distordantes, et des guitares reléguées au second plan mais apportant juste ce qu’il faut de désordre, d’abruption et de chaos pour faire s’écrouler les mondes oniriques crées par les autres.
Les Finlandais aiment à s’étendre, à imposer leurs visions à l’auditeur, à l’emmener sur des chemins longs et sinueux, à leur faire éprouver une expérience. Les mélodies déstructurées, dégénérées d’« Uusi Teknokratia » ou les violons dérangeants d’« Oikeamielisten Sali », les rythmes implacables de « Kuulen Ääniä Maan Alta », l’intensité à peine tenable de « Taivaan Portti » semblent nous plonger dans un mauvais rêve, enjôleur au début puis totalement angoissant. ORANSSI PAZUZU trouble, vampirise et fait vaciller l’auditeur jusqu’à le faire basculer et l’étouffer dans un cauchemar qui semble se répéter sans cesse…
Au début, on s’y plait, on s’y complait, on s’y installe puis la paranoïa nous y attrape, petit à petit. On se sent pris au piège, observé, impuissant. Enfin, on est poursuivi, chassé. Alors on se débat, on tente de fuir, on cherche une issue. On court en vain, coincé dans une boucle. Tout n’est que ruse, abyme dans lequel on est placé. On essaye d’attraper la porte, cette poterne vers la réalité qui recule sans cesse. De vagues en vagues, de boucles en boucles, nourri à la reverb’ et au delay, le ressac sonore est enrichi à chaque seconde, faisant changer les décors et les atmosphères. Les ondes affluent et affolent, tournoient comme les pales d’une hélice qui viendraient se heurter et trancher les genres, les sensations. Tout dégouline, éclabousse, se mêle pour ne former qu’une seule et même masse aux propriétés visqueuses mais fluides, luisantes mais sombres, hermétiques et hautement intrigantes. Absolument génial.