[ Chronique ] PENSÉES NOCTURNES – Grand Guignol Orchestra ( Les Acteurs De L’Ombre )

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C’est une fois le soleil couché, par un trombone rampant et un piano à bretelles trainaillant que commence le méfait : les PENSÉES NOCTURNES. Mais que peut bien cacher ce nom à la fois mystérieux et terrifiant ? Pour le savoir, il va falloir se laisser prendre dans le tourbillon de cette fanfare, de cette parade qui vous mènera sur les chemins tortueux, de votre misérable vie à la folie des champs de foire, au bout de la ville et de ses civilités, à l’endroit des laissés-pour-compte.

Enrobé de couleurs vives, d’ambiances feutrées mais décharnées, d’un orchestre au coeur obscur, le chapiteau n’est éclairé qu’au flambeau et sent l’alcool frelaté, la vinasse et la sueur… En son centre, on y découvre Vaerohn, notre maître de cérémonie au trouble dissociatif de l’identité. Une sorte de monsieur dé-loyal poly-dactyle, capable de chanter dans un argot parfait tel un ténor d’opérette, d’avaler du cuivre sans s’essouffler, de vous vomir sa gouaille bileuse et filandreuse, ses discours dépravés. Grâce à ses multiples talents, en dix actes, il va s’inventer, se conceptualiser autour de cette parade maniaque et bancale, multi-latérale et riche à en crever. À partir de là, les PENSÉES NOCTURNES ne pourront plus vous quitter.

Dans un délire quasi-schizophrénique, les numéros passeront sous vos yeux comme un joyeux fatras. Tout se mêle, se démêle, trouble l’esprit et apprivoise l’auditoire dans une déambulation au rythme dégénéré, saucée dans un jus loufoque et cafardeux. C’est d’abord le cuivre et la pompe, ce rythme net de fanfare balkanique, circassienne voire bregovicienne qui frappe, puis vient l’association avec la fulgurance d’un metal avant-gardiste et dissonant, noirci au charbon. Par ailleurs, qu’on le définisse en tant que black ou en tant qu’avant-gardiste, ce metal est en tout cas prégnant et puissant, extrêmement riche techniquement. Le tout sonne dérangeant, mais très bien dosé, sans jamais être lisse, et en cela c’est une prouesse.

Bourré d’influences aussi joyeuses que maussades, chaque morceau donne la possibilité d’être séduit puis de se faire happer et dévorer sans compassion. Tout comme ses « freaks » que le monde a bouffé, que la société a étouffé, a massacré en les offrant à la vindicte populaire pour cause de différence. Ici, Vaerohn ne fait que chanter les malheurs et les rancoeurs de ce monde et du nôtre sur un air de goguette. Sans jamais être vulgaire, trempé d’argot et d’idées noires, sans une once de bon sentiment, il est une sorte de John Wayne Gacy. Un clown fin, aimant la littérature, l’art et la peinture… mais une fois la nuit tombée, son maquillage coulé, il s’arme de sa batte de baseball barbelée, prêt à faire rentrer ses idées dans les caboches les plus réfractaires, le tout avec un certain sens du spectacle et du macabre ! 

Pour tout ça et pour tout ce que je n’ai pas pu ou su dire, il faut écouter « Grand Guignol Orchestra ». C’est une expérience unique, une pièce monumentale et totalement décadente. Un cirque de caniveau déstructuré, c’est pour tous les paumés, pour les dégénérés, les ivrognes, les moches, les rebelles, et les exclus, c’est une messe pour tous les excommuniés et les maudits, pour les rebuts et les cagots. Bref, c’est du spectacle !

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