[ Chronique ] KING DUDE – Music To Make War To ( Ván Records )

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Au fur et à mesure de ses sorties, TJ Cowgill est devenu l’un des « rockeurs occultes » les plus respectés de la scène sous le nom de KING DUDE. Doté d’une voix de baryton, suave et caverneuse, souvent comparée à celle de Johnny Cash, Lou Reed ou peut-être Neil Young et d’un état d’esprit à la Robert Johnson, il s’inspire de la ruine de notre monde, de la souffrance, de la religion et du sang. Son dévouement à la musique et à l’ombre confère d’ailleurs à son œuvre une aura particulière et authentique. Il use et abuse de son attirance pour l’obscurité afin de mieux explorer les préceptes primitifs de l’existence. Aujourd’hui de retour sur des sentiers de perdition et de belligérance, il reprend sans surprise là où « Love » ( 2011 ), « Fear » ( 2014 ) et « Sex » ( 2016 ) s’étaient arrêtés, un rock vorace et ténébreux imbibé de racine néo-folk. En cela, « Music To Make War To » est une déclaration de guerre, animant le croquis d’un conflit intérieur plus intense et insondable que jamais.

Si ce titre sonne comme un appel aux armes guerrier et révolutionnaire, le premier titre à en surgir s’apparente plus à une grande respiration avant introspection. Avec son atmosphère morose et son piano discret, « Time To Go To War » n’est autre qu’un brouillard menaçant où Cowgill s’infiltre. Pour cela, il se repose sur des tonalités lointaines, frustrantes et des mélodies solitaires qui ne sont pas sans rappeler Nick Cave. Puis de ses territoires désolants survient l’épiphanie « Velvet Rope », excitant et très marqué post-punk goth’ 80’s. La douce mélodie rayonne et résonne sur les vers, contrastant avec l’explosion sourde des guitares.

« Good & Bad » voit le diable se muer en séducteur, en crooner accompagné de sa succube, la sublime Josephine Olivia. Appuyé par une mélodie cuivrée troublante, la prédation sexuelle et diabolique qui se joue entre les voix se transforme en étreinte pernicieuse, puis en extase… labourant les corps de leurs amours perverses et damnant les âmes corrompues. ( « I want to run through your fields of sin/ And set fire to your flesh again » ).

Avec la distordue « I Don’t Write Love Songs Anymore », le démon devient plus rocailleux et peut-être plus sauvage. D’une giclée de son folk et dépressif se reflète et se dessine une image déformée de JOY DIVISION. Et ce même miroir vient se cabosser encore et presque salir l’image « stoogienne » de « Dead Before The Chorus ». Deux titres plus énergiques, deux types d’agressions électrisantes et sinistres comme des hommages de Cowgill à son passé. Les effets sur la voix et les guitares grinçantes mettent en évidence ce côté punk, ce besoin de violence incontrôlée et viscérale que l’on avait déjà ressenti sur « Sex ». Malgré tout, le chant y reste dépressif et impassible, misant tout sur la puissance de l’intuitif plutôt que sur la gamme vocale impressionnante. Il réussit à détailler, à décortiquer scrupuleusement ses travers amoureux dépravés et son affection pour l’autodestruction.

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Avec « Twin Brother of Jesus » et sa tentative de néo-folk industriel que la cassure s’opère. Le titre chargé de basses cardiaques, soutenu par la voix pétrifiante et très « Cash » de Cowgillnous emmène encore sur d’autres terres arides, vers l’intériorisation. « In The Garden » reste dans cette même veine rituelle, avec des nappes synthétiques et un chant tirant sur Lou Reed. Mais le psychédélisme occulte atteint vraiment son zénith sur la magnifique « Let It Burn » et sa section rythmique dub. Un titre étrangement dansant, puissant, avec des guitares rocksteady, une basse ronflante et des cuivres percutants. La voix de Cowgill, le crooner insolent, met en garde ( peut-être ironiquement ) contre l’arrogance et l’ignorance. ( « We all die the same / Fire gonna cleanse this earth / Fire burn us all away » ). Alors que « God Like Me » vient terminer l’album avec une ballade au piano, comme aspiration à poursuivre vers la transcendance au lieu de se vautrer dans la haine et la fange.

À la différence d’une Chelsea Wolfe ( avec qui il a collaboré ) qui arrive à amener des moments de clarté et de lumière blanche dans ses voix, KING DUDE semble moins dilué, plus froid, plus distant et fataliste, mais c’est aussi ce qui fait toute la force de son art. Même si sa musique reste éclectique et emplie de vigueur, la toile de fond qu’il nous impose, repose toujours sur ce monochrome romantique noir et anti-dandy ; cette tache de sang noirci élaborée par les concepts et les troubles existentiels qui animent son principal protagoniste. Un album à écouter entre deux séances d’électrochocs, attaché à un lit d’hôpital.

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