Le trio irlandais GOD IS AN ASTRONAUT est bien souvent et à juste titre considéré comme l’un des leaders de la microsphère post-rock instrumentale. Depuis sa création en 2002, le groupe a toujours été, si ce n’est en avance, en tout cas bien distinct du reste de la scène. Allant sans cesse plus loin dans ses pérégrinations et dans les expérimentations en tout genre, nos charmants irlandais n’hésitent pas à pousser régulièrement les portes de la musique électronique ou du shoegaze, enfonçant toujours plus en avant, plus en hauteur, leur rock spatial afin d’atteindre des couches atmosphériques encore inexplorées.
Mené de front par les jumeaux Niels et Torsten Kinsella, GOD IS AN ASTRONAUT a justement bâti sa réputation sur ses performances presque exosphériques et surtout très émotionelles, que ce soit en studio comme en live. Le duo Kinsella a toujours eu une bonne compréhension, une bonne lecture et un bon rendu de cet aspect émotionnel essentiel du post-rock, et il a toujours veillé à ce que sa musique ait, non seulement la richesse et la dynamique tout en crescendo du style, mais aussi la réponse, le quotient émotionel que celle-ci demande.
Aujourd’hui, GIAA nous revient avec un neuvième album, sobrement intitulé « Epitaph ». Décrit comme à la fois puissant et émouvant, « Epitaph » semble vouloir marquer une progression dans les sonorités, un changement de direction, d’émotion de GIAA, tout en restant fidèle à la philosophie, à l’essence du trio. Directement inspiré des drames qui ont marqué la vie récente des musiciens, les titres sont comme des éponges et se sont mus en entités sombres et lourdes ; comme une ombre qui serait passée sur le groupe, résultant un son extrêmement éthéré et ambiant. Je n’aime pas me réjouir du malheur des gens mais il est vrai que ces drames, si atroces soient-ils, ont permis au groupe de (dé)couvrir de nouveaux paysages et de tisser une nouvelle toile sonore pour nos oreilles averties…
À l’exemple du titre éponyme « Epitaph » qui ouvre l’album, on est immédiatement parachuté dans une atmosphère pesante, avec toutes ses larmes de riffs qui coulent sur les joues pâles du désespoir. Au fur et à mesure que l’on se laisse happer, on comprend que le groupe essaye de donner un sens à cette mélancolie, d’utiliser toutes ces énergies grises pour transcender, pour apaiser et consoler. Prenez « Seance Room », le véritable tournant de l’album, sa charnière, là où GOD IS AN ASTRONAUT vient apporter une substance différente, vient nous emmener sur des territoires plus cosmiques et plus spirituels à la fois. Poussée par le réverbération des guitares et les atmosphères shoegaze, la réalité se déforme et cette séance, au cours de laquelle l’on peut entrer en contact avec ceux qui ont disparu, avec nos êtres chers va peut-être avoir lieu ; les forces cosmiques semblent être à l’œuvre et échangent avec le monde des vivants… Tout devient possible. Alors que « Komorebi » rend tout flou, elle fait revenir lentement à la dure réalité ; le titre vous englobe, vous recouvre de nostalgie et de désir mélancolique.
Puis « Medea » et sa référence au mythe grec de Médée, épouse de Jason devenue enchanteresse infanticide. Un titre lourd de sens qui sonne comme ce crime contre nature et qui vous fait plonger dans un océan de tristesse. Enfin, l’hypnotique « Oisin » vient clore l’album dans une ambiance de deuil, de douleur, de chagrin à fleur de peau ; un hommage. Son titre vient d’ailleurs du prénom d’un enfant de la famille Kinsella tragiquement disparu il y a peu, on comprend donc mieux ce changement soudain dans les émotions de GIAA. Deux titres qui, d’une certaine manière, se complètent, tout comme le yin et le yang, tout comme la vie et la mort que l’on doit accepter comme interconnectées, c’est exactement le sentiment qui ressort de cet « Epitaph ».
Pour conclure, je dirai qu’ « Epitaph » est de par son background, l’album qui voit GOD IS AN ASTRONAUT sortir enfin de sa zone de confort, et faire évoluer sa musique, ses sonorités. Car depuis « All Is Violent, All Is Bright », on avait senti le trio un peu en roue libre, fidèle à lui-même mais moins innovant. Et c’est là que, malgré le mal duquel il découle, « Epitaph » devient délicieux car il a « forcé » le groupe à expérimenter et à re-texturer son contenu.
D’un autre côté, l’écriture et la structure manquent d’un flux, d’une cohérence. Peut-être trop d’émotions, trop difficiles à canaliser pour les musiciens… L’expérience immersive et l’impact émotionnel en sont un peu réduits car on est peut-être dans quelque chose de trop personnel, de trop intime pour être compréhensible de tous… Beaucoup moins de lumineux donc, beaucoup plus brumeux, froid et crépusculaire. Embué comme lorsqu’en hiver, on marche seul au beau milieu de la nuit et l’on observe les expirations, les émanations visibles sortant des bouches béantes. On reste finalement dans un voyage intérieur relativement complexe, maculé de chagrin, de colère et d’espérance.