Vingt ans après la sortie de son premier EP, miraculeusement, SHINING tient encore debout. Et tel un chat et ses neuf vies, il vient nous le prouver avec ce dixième album produit avec un énième line-up… De notre côté, on en vient presque à se demander ce que son leader, le provocateur Niklas Kvarforth, a encore à nous raconter qu’il n’a pas déjà crié, coupé, saigné, émasculé et torturé des dizaines de fois.
En effet, malgré une carrière sur le fil du rasoir, Kvarforth et SHINING sont restés plutôt prolifiques et ont tout de même réussi à produire déjà dix albums dont de véritables petites perles de métal sombre comme « V – Halmstad » en 2007 ou « VIII – Redefining Darkness » en 2012. Et tout ça avec une production toujours digne de ce nom et une trame artistique bien établie, ce qui contrebalance avec le parcours musical qui s’est avéré aussi capricieux et volatile que la vie de son principal protagoniste. La misanthropie et les névroses de Kvarforth amenant, au de-là des frasques extra-musicales, des contrastes fascinants mais aussi un déséquilibre, entre le black metal virulent, suicidaire et le hard rock bluesy presque progressif, comme une bataille permanente entre la tête et le cœur.
On pourrait d’ailleurs presque voir l’homme comme le dernier vrai punk de la scène extrême, une sorte de J.J. Allen version black, un chanteur maudit, bas-de-plafond, limité et sans réel talent musical, qui s’alimente en proposant des show-happening où excréments et sang se côtoient… Mais si Kvarforth reste indéniablement un punk pour ses congénères blackeux, ceux qui sont trop occupés à se peindre la trombine et se trouver le meilleur coin de forêt pour poser avec des répliques d’armes elfiques achetées sur E-bay, lui cherche avant tout en lui et en l’Humain, « la source du Mal », la source de son mal et non pas dans de quelconques légendes, religions ou histoires à dormir debout. De ce point de vue là, Kvarforth reste un artiste fascinant, intelligent et un temps soit peu manipulo-calculateur. Avec ses délires auto-mutilatoires, ses simulacres de disparition, ses sempiternelles crises et ses nombreux changements de line-up, il alimente ses propres tabloïds, sa fan-base et tout un tas de curieux. D’une certaine manière, il nous force à écouter, suivre et nous abreuver d’images auto-destructrices et suicidaires… avec un seul but selon lui : « que l’on passe à l’acte ». Un business qui, de nos jours, s’il n’est lucratif, semble plutôt bien se porter.
Enfin bref, finalement, à l’écoute, « X – Varg Utan Flock » est un album plutôt agréable… Chanté presque entièrement en suédois ( le titre se traduit par « un loup sans meute » ), il est indubitablement fait du metal le plus noir mais pas vraiment le plus trve et encore moins le plus standardisé, il est juste purement SHINING. Le groupe y déploie tout ses trucs et astuces, tout ses tours pour un effet maximum et fait ainsi entrer SHINING dans sa deuxième décennie d’existence ( ou de survie ) avec fracas. Je serais presque tenté de dire qu’« X – Varg Utan Flock » résout un peu cette bataille élémentaire dont je parlais plus haut et trouve une certaine confluence, une sorte de bipolarité cohérente, comme si la force, la violence de la musique s’unissait enfin à la direction artistique.
Les sons, les arrangements s’y bousculent entre héroïsme nordique et simplicité punk brutale, un black metal glacial et des sonorités acoustiques sinistres, mais également étonnement chaudes. Cette bouillie sombre est en plus superbement soutenue par la voix de Kvarforth qui nous octroie toute la gamme de ses élucubrations excentriques de fantôme tourmenté. Entre cris, croassements prolongés, chuchotements, hoquettements, chant clair et respiration sifflante, il parvient presque à sensualiser son chant, et quand on sait qu’il a presque tout fait en une seule prise, on se rend compte de la performance hallucinée et de tout le talent du bonhomme.
Musicalement, c’est d’une grande fluidité, on ressent toute la force, la maturité et le travail qu’il y a derrière. Quand elles s’en mêlent, les guitares deviennent mordantes, saignantes mais sont aussi capables d’atteindre d’autres sommets… Peter Huss y interprète magnifiquement les idées de son « maître » : riffs bien léchés, mélodies affectées et affectantes, avec pour caution une superbe production signée Andy LaRocque ( KING DIAMOND ). Tout du long, la musique nous entraîne vers des lieux inattendus, comme avec cette interlude au milieu de « Svart Ostoppbar Eld » ou ce solo de guitare acoustique de « Gyllene Portarnas Bro » ou encore cet effet « crooner » sur « Jag Ér Din Fiende ». L’apogée est atteinte sur l’épopée « Mot Aokigahara », neuf minutes alternant shoegaze, spoken-word et black évidemment. Kvarforth y annonce même solennellement la date de sa mort : « I was born in December 1983 and I died in December 2017 ».
Au final, on a affaire à un album pouvant plaire autant aux fans de black qu’aux nouveaux auditeurs attirés par l’expérience SHINING. Il reste fidèle à la musique du groupe tout en proposant suffisamment de nouvelles idées pour donner un semblant de fraîcheur. SHINING y continue son « travail de sape » avec toujours plus d’arguments, brillants et définitifs, comme un adieu permanent. Avec « X – Varg Utan Flock », il est clair que le black metal entre de la plus belle des manières en 2018.
