image article Cloud Nothings - Attack on Memory
Rock Indé U.S.  [7/10]
2012 @ Carpark Records

1993. Nirvana vient de sortir son In Utero. Enregistré par Steve Albini. Tu découvres dans le même temps la galaxie du Rock indé US, parfois enregistrée par le sus-nommé. Tu vas encore au lycée, tu réfléchis vers quelle fac tu vas te diriger, tout en écoutant Pavement, Pixies et Sonic Youth. Le présent est bruitiste, assez chaotique pour te maintenir excité. L’avenir est devant toi, aussi, vaguement.

2012. Les années ont passé. Tu as un boulot, tu perds tes cheveux, vaguement. Tu es déjà sorti avec des filles qui disaient que tu écoutais de la musique de trentenaire. Tu as vu les nouvelles modes et les revivals défiler. Tu as vu une flopée de concert noise dans des endroits souvent improbables. Tu as entendu parler d’un groupe appelé « Enregistré par Steve Albini ». Références, codes et clins d’œil. Tu n’as pas encore eu le temps de l’écouter. De la musique de ta jeunesse, tu as gardé un goût pour le bruit blanc, la mélodie, l’aventurisme et l’abrasivité. Math-rock, Post-rock, etc… Pas sûr pour autant que la décharge de frustration adolescente, le teenage angst sous-tendant tes premiers émois musicaux te touchent autant ces jours-ci. Pourtant, il t’est déjà arrivé, en rentrant chez toi tard le soir, de te dire quelque chose du genre: « I thought I would be more than this ». Preuve qu’il en reste quelque chose. Et puis, tu viens de découvrir Cloud Nothings, avec leur dernier album, Attack on Memory. Enregistré par Steve Albini. Et maintenant, tu en es sûr, ta vie va de nouveau changer.

2009. Tu t’appelles Dylan Baldi. Tu as 18 ans. Tu aimes Adolescents, Minutemen, Hüsker Dü, Pavement et tant d’autres héros de la fin des eighties et du début des nineties. Parce que tu t’ennuies dans ton université de l’Ohio, tu montes Cloud Nothings à toi tout seul, dont tu enregistres les compos dans la cave de la maison familiale (regroupées sur l’excellente compilation Turning On). Comme un tas d’autres artistes dilettantes et faussement néophytes. A une différence près ; derrière le bazar lo-fi habituel, il y a une impressionnante collection de pop songs immédiatement mémorables, un tube indé (Hey Cool Kid) et un miraculeux sens de la mélodie. Tu ne le sais pas encore, mais après un premier vrai album en 2010, cette fois-ci propre et pro, même si nettement moins inspiré (Cloud Nothings), tu vas former un vrai groupe et sortir en 2012 l’album qui va rebattre les cartes dans le petit monde du Rock indé US.

Ceux qui se sont déjà intéressé à Attack on Memory savent probablement déjà que ce titre est aussi une déclaration d’intention. Tout ce que vous connaissez de Cloud Nothings devra ainsi être réévalué à la lueur de ce phare diaphane qui orne la pochette de l’album. Et ça commence dès le premier morceau, « No Future, No Past », notes aigrelettes au piano, lente montée hypnotique totalement désabusée, voix nasale de plus en plus éraillée, jusqu’à l’implosion dans un lâcher de guitares à la fois majestueux et vaguement inquiétant. Et ceci n’est que le hors-d’œuvre. Dès le riff introducteur de « Wasted Days » et son mid-tempo frénétique très inspiré par le Hardcore des early eighties, on sait d’emblée le groupe dans la catégorie rare de ceux qui font du totalement neuf avec du parfois très vieux. Et la longue plage instrumentale de ce chef-d’œuvre de 9 minutes, totalement inattendue, et pourtant totalement indispensable, confirme les premières impressions. Guitares en questions-réponses quasi-psychédélique, concassées par une basse martelant bille en tête devant des fûts en pleine démonstration pyrotechnique, ce tunnel spatio-temporel convie les Wipers et même Television à l’expérience interdite. Les références au glorieux passé s’accumulent, et pourtant l’urgence reste intacte et toute personnelle. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes logiques posée par la time machine totalement détraquée de Baldi & co. « I thought I would be more than this » hurle ce dernier dans un final forcément explosif. Et cela te rappelle vaguement quelque chose.

A partir de ce moment-là, après un démarrage aussi intense, et au quart d’un album certainement trop court (huit titres), la partie est déjà finie. Cloud Nothings retrouve un territoire plus familier et enchaîne pop songs à la fois mélancoliques et entêtantes, (« Fall In », « Stay Useless »), refrains tout aussi crâneurs que pessimistes (« Our Plans ») et échappées belles entre garage punk, Nirvana (?) et Fugazi (« No Sentiment »). Pourtant le groupe ne déçoit jamais et surprend encore par sa maîtrise des sons, des notes et des atmosphères, résolument, noblement, rock. Une cure de jouvence et un reboot total de ce qui fait ses idiomes et ses codes.  Attack on Memory est donc aussi un titre à demi-ironique, la mémoire effacée étant celle rappelant que le temps a passé depuis l’époque où l’avenir était devant toi, vaguement. Le temps qu’un jeune blanc-bec de Cleveland, à peine majeur aujourd’hui, grandisse et trouve la formule pour faire ressurgir des émotions que d’autres bien plus vieux que lui avaient quasiment oubliées. Le temps aussi qu’il trouve un vrai groupe pour l’accompagner, qu’on est pressé d’entendre dans d’autres albums à venir.

2014. Tu as 22 ans. Un ami trentenaire vient de te passer une copie d’Attack On Memory de Cloud Nothings. Tu ne le sais pas encore, mais ta vie va changer. « No Future, No Past ». Éternellement.

Catégories : Chroniques

Sly

Co-owner and redactor in chief