image article Civil Civic – Rules
Deux hommes et une machine [8.5/10]
2012 @ Gross Domestic Product

Aaron Cupples est australien et vit à Londres. Il joue de la guitare électrique, qu’il sature d’effets en tout genre, ses doigts agiles filant sur le manche à la recherche de la mélodie imparable. Comme il n’est pas manchot, il en trouve une différente toutes les quatre mesures, qu’il peut enchaîner comme ça sans discontinuer pendant des heures, entre deux parties bruitistes gorgées de reverb. Il joue du clavier également, ce qui lui permet d’alterner ses parties de gratte Post-punk avec des thèmes Electro-kraut du meilleur effet. Ben Green est australien, lui aussi, mais contrairement à son compatriote rencontré quelques années plus tôt, il vit à Barcelone. Il doit préférer le soleil, immanquablement. A part cela, il joue de la basse, qu’il aime bien grasse, ronde, grinçante, rapide, rythmique, ultra-mélodique, et de préférence passée à travers les circuits modifiés d’une fuzz qu’on dirait sortie d’un laboratoire secret visant à tester la résistance des haut-parleurs de ce bas monde, tant elle sonne hénaurme avec un h majuscule. Sinon, lui aussi joue du clavier. The Box, dont personne ne connaît véritablement la nationalité, est une boîte à rythme avec quelques illusions de grandeurs. Ne cherchant pas à entrer en compétition avec ses camarades australiens, dont la présence scénique se passe tout-à-fait de vrai batteur ou de chanteur, elle a décidé de se faire remarquer en affichant en grand ses curseurs pour le public, généralement ébahi par un light-show aussi sophistiqué. Des curseurs qui virent souvent au rouge, tant les rythmiques choisies se révèlent parfois frénétiques. Les mid-temps mötörik affolés de The Box ne sont ainsi conçus que pour une chose : vous amenez directement sur le dance-floor pour bouger votre boule en secouant la tête de façon décérébrée. Tous trois (enfin, soyons honnêtes, surtout les deux premiers) composent Civil Civic, composent depuis leurs différents foyers européens avant de s’envoyer le résultat de leurs recherches fiévreuses par e-mail, ce qui en fait un groupe moderne, et enfin composent sur leurs emplois du temps respectifs afin de faire des concerts à ne surtout pas rater (comme récemment, à une soirée Mowno, à la Flèche d’Or). Rules est leur premier album, qui compile différents EP et Maxis précédemment sortis avec quelques titres inédits. Et dès les premiers sillons du disque, alors que le gimmick de clavier d’« Airspray » surgit en empruntant ses sonorités à un steel drums rendu encore plus exotique par son environnement immédiat très eighties (et donc très froid), il ne fait aucun doute que l’univers de ce groupe-là ne ressemble à celui d’aucun autre. Ce qui n’empêche en rien une efficacité magistrale, comme dans le second titre, « Run Overdrive », ou encore le quasi-punk « Street Trap », festivals tourbillonnants où guitare, basse et claviers se narguent, se toisent, se provoquent et réussissent à se compléter en une harmonie mutante finalement très… organique. Les paradoxes posés par le rétro-futurisme à la Civil Civic ne tardent d’ailleurs pas à se compliquer encore plus avec « Grey Nurse », dont l’ambiance résolument surf renvoie le curseur sur une Californie fantasmatique à la Ed Wood. SF cheap et Rock Garage ne se sont jamais aussi bien mariés depuis le Bossanova des Pixies. Les Pixies à qui on pensera décidément encore au moment d’un bend déchirant que n’aurait pas renié Joey Santiago sur « Slack Year », au moment où l’album se termine et décide de finalement ralentir la cadence, histoire de souffler un peu le temps d’un générique de fin ample et quasi-majestueux. Entre temps, Civil Civic a aligné les perles, les moments de grâce, les ambiances décalées, les nappes de synthé brumeuses, et surtout une tripotée de mélodies inoubliables, mélodies qui doivent autant à la naïveté des eighties qu’au bruit blanc des nineties. Ajoutez à cela que la quasi-totalité des morceaux de l’album a donné naissance à des vidéos incongrues sur le net piratant et détournant les meilleures heures de la télé kitsch des States des années 50 à nos jours, et vous aurez une idée du genre d’univers qui fait marrer et vibrer Aaron Cupples et Ben Green. Et peut-être même The Box. Même si personne ne sait vraiment ce que The Box pense, au fond.

Catégories : Chroniques

Sly

Co-owner and redactor in chief