Photo par Ekaterina Sotova
Le Point Ephémère – Paris – Le 01/04/2012
Programmation hétéroclite que ce soir-là au Point FMR, même si dans les grandes lignes, l’ensemble reste plutôt rock pris dans son sens le plus global. Pour ceux qui viennent un peu au hasard, sans avoir pris le temps de prendre des places, la surprise est de taille : le concert est sold out, sans doute l’effet cumulé de l’association entre un trio suisse de l’écurie Africantape, très hypée en ce moment, et une formation culte pour fans hardcore de Post-rock américain. Mauvais poisson d’avril. Le temps de me faire traiter de « quiche » par un pote travaillant souvent dans les lieux pour ne pas avoir géré des places plus tôt, et le temps que ce même pote ne s’arrange pour me faire gentiment inviter, et tout finit par s’arranger (merci Julien). Penser à demander des accréditations à mon rédac-chef préféré la prochaine fois. L’ambiance dehors est estivale avant l’heure. Il fait bon, et le public se presse autour d’une baraque-à-frite qui fait paraît-il fureur dans le tout-Paris et qui a eu la bonne idée de s’installer ici ce soir. Je sais que les parisiens sont habitués à faire la queue. N’empêche, je ne pensais pas un jour qu’ils en feraient une aussi longue rien que pour des burgers. A croire que ces derniers sont aussi alléchants que la programmation.
Programmation qui commence donc avec Road to Fiasco, qui fait dans un punk rock un brin expérimental parfois. Chant féminin, du fun sur scène, et de la niaque. Sympathique, et parfois bien énergique. On n’en dit pas plus dessus parce qu’on a assisté à cette prestation des toilettes du bar extérieur, alors qu’on n’avait pas encore son ticket d’entrée. Ce qui fut l’occasion de croiser un petit gars avenant mais un peu perdu, cherchant désespérément un moyen de pénétrer dans la salle. « Je suis musicien, je joue juste après » dit-il en me montrant son bracelet. « Ah ouais, tu joues avec qui ? ». « Peter Kernel. Je suis leur batteur » me répond-il. Bizarre, il n’avait pas du tout cette tête-là dans mes souvenirs. Je lui explique par quelle porte passer, (décidément, tout le monde a du mal à rentrer aujourd’hui, même les musiciens) et effectivement une fois à l’intérieur, je constate que c’est bien lui qui se place derrière les fûts, l’ancien batteur étant parti en Inde. Le nouveau venu, Grégoire, remplira son rôle à la perfection, mais le show tient ces jours-ci grandement sur les épaules des deux autres, à savoir Barbara, bassiste-chanteuse, et Aris, guitariste-chanteur.
Et ce show transcendera largement les promesses du dernier album, White Death, Black Heart dont on ne savait pas toujours quoi penser, tant il brosse les codes du Rock indé dans le sens du poil, pour mieux les dynamiter sauvagement et peut-être un peu trop violemment par la suite. Voir Peter Kernel en live redonne ainsi tout son sens à leur musique. Si les embardées brusques aux mélodies parfois ultra-minimalistes pouvaient désarçonner sur galette, leurs équivalents scéniques arrivent eux à diffuser un enthousiasme bien plus palpable sur le public. Et les moments d’attente et de tension rentrée, qui semblaient parfois s’étirer un peu trop en longueur en version studio, deviennent ainsi en concert des agonies d’un suspense insoutenable. Nul défaut d’exécution dans l’enregistrement. C’est juste que la musique de Peter Kernel s’épanouit mieux en spectacle vivant, avec ce que cela comporte de danger, d’accidents, de risques et de moments de grâce. Barbara et Aris passent ainsi la majorité du concert à se toiser, s’aguicher, se provoquer, l’un en permanence tourné vers l’autre, jusqu’à ce que l’un de ces moments de tension et d’agonie évoqués plus haut ne finisse par déraper en une embrassade-empoignade peut-être pas totalement incontrôlée, mais qui a le mérite de créer ce que le Rock’n’Roll a de plus précieux : l’excitation. Love is in the air. Ce léchage de goule effectué, on se dit que certains couples mythiques du rock ont pu jusqu’à très récemment en venir à se séparer, il y en aura certainement toujours de plus jeunes pour prendre la relève. Et cela fait du bien. Presque autant que les tubes du groupe en live, à savoir, entre autres « Anthem of Hearts » et « Panico ! (this is love) ». On comprend d’ailleurs vaguement que ce dernier titre représente quelque chose de très personnel pour le groupe, en écoutant Aris expliquer dans un français approximatif qu’il a été écrit pour Barbara, à moins que ce ne soit PAR Barbara. A ce moment du set, la confusion des langues, des corps et des idées ne fait de toute façon que renforcer le caractère chaleureux de la soirée, que ce soit sur ou devant la scène. Bref, une prestation qui donne vite envie de se replonger dans un disque qu’on n’a peut-être pas complètement compris la première fois. Ce qui est un compliment, assurément.
Une fois remis de toutes ces émotions l’ambiance change radicalement avec This Will Destroy You, quatuor texan de Post-rock instrumental qu’on situerait principalement entre Explosions In The Sky et PG Lost, avec une propension à être généralement plus intense que les premiers, mais un poil moins gracieux que les seconds. Les gonzes viennent juste de sortir un album, Tunnel Blanket, mais piochent également dans d’autres morceaux de leur riche répertoire. Au programme, longues plages mélancoliques et planantes, crescendos et autres explosions sonores, bref tout ce qui fait le cahier des charges habituel du genre. Ce qui donne un set plus convenu que leurs imprévisibles prédécesseurs, mais pas forcément plus inintéressant. Le bassiste et vraisemblablement meneur de toute cette petite troupe (au look invraisemblable casquette rouge-lunettes-moustaches faisant immanquablement penser à quelque plombier italien évoluant dans l’univers bariolé d’un jeu vidéo japonais) officie également au machines et au Fender Rhodes, dont l’utilisation disparate amène naturellement à la comparaison avec les autres maîtres de la catégorie que sont Mogwai, sans que le groupe américain n’ait trop à en rougir. On note également des morceaux beaucoup plus sombres, à l’ambiance funeste et menaçante, avec des descentes en demi-tons qui n’auraient pas juré dans le Yanqui U.X.O. de Godspeed You! Black Emperor. Les références sont ainsi assez variées et brassées pour conquérir l’amateur éclairé. Quant au reste du public, généralement tout acquis à la cause de groupe, il est captivé de bout en bout. On peut aisément comprendre pourquoi il se laisse transporter comme cela. Tout comme on peut comprendre ceux qui se sont lassés un peu plus vite de ce style, et qui sont donc sortis humer l’air printanier et nocturne depuis quelques temps. Dans les deux cas, la soirée est de toute façon réussie. Love is in the air.