[ Chronique ] EMMA RUTH RUNDLE – On Dark Horses ( Sargent House )

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Dans un laps de temps relativement court, la chanteuse et compositrice Emma Ruth Rundle a développé un style singulier, pas simple à définir mais reconnaissable entre mille. Sa musique, une sorte de folk sombre qui mêle couches de guitares profondes et strates vocales éthérées, ne se définit pas par son énergie ou sa tonicité mais bien par son volume et sa portée salvatrice. En 2016, l’artiste lâchait « Marked For Death » , un album écrit dans l’isolement du désert californien, où les vastes paysages sonores créés faisaient écho à l’atmosphère désolée de son environnement, comme une méditation dure et intime sur la mortalité et les comportements autodestructeurs.

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Aujourd’hui la belle revient avec « On Dark Horses », un album bien plus immédiat que son prédécesseur. Ce qui est en grande partie dû au changement dans la vie de son principal protagoniste et à la façon dont il a été conçu. En effet, l’amour naissant de Rundle pour Evan Patterson ( JAYE JAYLE ) l’a incitée à déménager à Louisville dans le Kentucky, ce qui a non seulement amplifié ce thème « équestre » que l’on retrouve sur l’album, mais qui a également donné lieu à un changement dans le processus d’écriture. Là où pour ses précédents opus, Rundle avait écrit et enregistré tous les instruments elle-même, cette fois-ci elle a été épaulée par Patterson et Todd Cook de JAYE JAYLE ainsi que Dylan Nadon de WOVENHAND.

Les huit titres de « On Dark Horses » capturent parfaitement l’évolution de Rundle en tant qu’artiste, avec les vestiges d’ « Electric Guitar: One », la beauté de « Some Heavy Ocean » et l’urgence de « Marked For Death ». Ce nouvel album contient bien toute cette riche tapisserie d’émotion, une sorte d’accord égal et harmonieux de ses expériences passées.

On s’arrêtera d’ailleurs quelques minutes sur la pochette qui montre une image floue de cette fille ( Rundle ) cachant son visage derrière un jouet, un cheval aux jambes brisées. La photo suggère quelque chose de candide mais de timide et d’occulté, gracieux mais fracturé ; un portrait approprié pour une artiste qui a construit sa carrière et son art en oscillant entre mystère et révélation.

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Fidèle à son énoncé, « Fever Dreams » le premier titre de l’album se veut magnifiquement étagé et riche en sons, dégageant un air de vitalité et de force, un sentiment de dépassement qui servira de fil rouge à l’album. Rundle y aborde son mal-être et ses angoisses, prend l’auditeur dans un tourbillon sonore où sa voix, au premier plan, au dessus de tout le reste, donne le La et impose ou tempère ses émotions.

Les percussions galopantes et les mélodies obsédantes de la pièce maîtresse « Dark Horse » rendent bien compte du besoin de transcendance, de l’intensité et de la détermination qui anime Rundle. Besoin qui continue plus loin sur « Control », une explosion post-rock imbibé d’urgence. On retrouve aussi un groove lent et poussiéreux, notamment sur l’americana gothique « Races » ou sur la marécageuse « Light Song », mais avec encore et toujours cette évidente nécessité de s’évader de l’obscurité, comme un rayon de soleil qui viendrait craqueler et fissurer la surface d’un monde terne. « You Don’t Have Cry », même si c’est le dernier titre et qu’il est dédié à un ami qui a beaucoup souffert, est aussi annonciateur d’un nouvel espoir : celui de reprendre le contrôle au lieu de succomber à ses angoisses et ses afflictions.

Pour conclure, je dirai que « On Dark Horses » est sûrement son disque le plus rock, sa musique y est plus accrocheuse et accessible, moins sombre qu’auparavant mais tout de même très immersive. Elle semble s’ancrer dans une nostalgie bi-polaire, saudade. Telle une épine amère et douce, sa voix représente cette lumière au bout du tunnel, alors que sa musique tente de pénétrer nos âmes.

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Tout sur cet album montre Emma Ruth Rundle en tant qu’artiste accomplie. Du concept à la musique, tout est cohérent et équilibré, entre obscurité, lumière et profondeur. Un album qui s’écoute d’une traite, une respiration intérieure, un souffle luminescent. L’artiste y est personnifiée par cette image centrale du cheval qui continue d’avancer, de se frayer un chemin malgré l’adversité. Il est la représentation d’une force contenue qui va surmonter et dépasser ses propres attentes et celles de la société. La métaphore d’une artiste qui a survécu à son nadir personnel et qui en a retiré la force d’avancer.

 

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